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Expression(s) Décoloniale(s) #3, le projet à suivre du Musée d’Histoire de Nantes !

Expression(s) Décoloniale(s) #3, le projet à suivre du Musée d’Histoire de Nantes !

13 June 2023 | PAR Chloé Coppalle

Cet été, ne manquez pas un aller-retour à Nantes au Musée d’Histoire de la ville pour y découvrir la 3ème édition du projet Expression(s) Décoloniales(s) ! Le musée, connu internationalement pour sa riche section sur l’esclavage, propose depuis 3 ans un parcours dans lequel artistes contemporains et historiens spécialisés amènent précisions historiques et actualisations des récits. Cette année, c’est Barthélémy Toguo qui est à l’honneur. Il a invité Jean-François Boclé, Moreira Chonguiça, Rosana Paulino, Monica Toiliye, et Kara Walker à participer au projet à ses côtés. Côté historique, c’est François Wassouni qui propose dix nouveaux cartels temporaires.

Quand l’art contemporain parle avec l’histoire.

Installer le projet dans la partie permanente permet aux artistes de questionner les œuvres de la collection du musée. Barthélémy Toguo s’intéresse à la céramique chinoise, ramenée des comptoirs asiatiques, Kara Walker aux images véhiculées par la gravure, Jean-François Boclé, au Code Noir. On retrouve aussi la question de la liberté et de sa privation, abordée dans la collection par les fugues des esclaves (le marronnage) et l’abolition.

Pour répondre à cette histoire, Barthélémy Toguo écrit des slogans de révolte dans des gravures évoquant la forme de tampons administratifs. En effet, la pièce dans laquelle sont exposés ces tableaux traite de la gestion organisationnelle du système esclavagiste. Le financement, le plan des fermes, la logistique du ravitaillement, les navires négriers, le cadre juridique … et le marquage au fer rouge que devait subir chaque esclave. A la place d’une trace déshumanisante, ce sont des slogans engagés qui s’inscrivent dans son œuvre, tel que No Justice No Peace. Ils rendent hommage aux révoltes des esclaves, peur ultime des négriers, et source de nombreuses stratégies de violences pour canaliser ces soulèvements. Plus loin, l’exposition de chaines autour du cou fait écho avec l’instrument de strangulation utilisé par la police de Nantes durant la Seconde Guerre Mondiale, visible dans cette section quelques salles plus bas. Le tableau My Body My Choice dénonce la violence sexuelle, cauchemar des femmes esclaves et domestiques dans les plantations, dont fait l’objet le premier cartel de la salle. La torture physique est également évoquée par l’artiste à travers la figure de chiens montrant les crocs dans l’œuvre Strange fruit. Les chiens rappellent ceux qui sont prêts à bondir de rage dans l’arène mise en scène par Marie Sibande au MacLyon l’année dernière. Cette fois, les chiens enragés dessinent la colère des populations noires sud-Africaines qui sont toujours l’objet de discriminations raciales, des années après la fin de l’Apartheid. Chez Marie Sibande, les chiens symbolisent la colère des populations lynchées par ceux de l’oppression blanche de Barthélémy Toguo.

Et cette violence, elle laisse des traces. Avec le temps, elle devient une cicatrice, puis une mémoire. Cette mémoire des corps, c’est Rosana Paulino qui la matérialise avec brio dans une vidéo la montrant broder à même son propre T-Shirt. Mais l’aiguille du fil peut s’avérer piquante, et l’artiste se blesse à plusieurs reprises.

Que ces cartels d’éditions temporaires deviennent permanent !

Et oui ! Car ils approfondissent des thématiques selon les spécificités de leur auteur, ce qui apporte une précision non négligeable à la compréhension de la collection. L’année dernière, notre confrère Léna Saint Jalmes notaient que l’historien Gildas Bi Kakou apportaient à la compréhension des objets « les sources orales africaines et la mémoire de la traite atlantique dans les sociétés anciennement esclavagistes ».

Cette année, François Wassouni approfondit l’analyse structurelle du système esclavagiste pour expliquer l’institutionnalisation des violences. Il décrypte l’obsession du rendement financier et logistique sur le corps humain. Il s’appuie sur des objets historiques mais également sur les images qui ont constitué les schémas mentaux de l’histoire coloniale pour les déconstruire. Il fit le choix judicieux d’ouvrir sur l’iconographie d’une carte de l’Afrique réalisée en 1644 par deux cartographes néerlandais, Henricus Hondius et Jan Jansson, pour ouvrir sur la formation institutionnelle et mentale de l’époque coloniale.

 

L’exposition vaut vraiment le détour. L’art contemporain questionne une collection historique importante, et la présence des historiens permet de développer de nombreux angles contextuels. Ces cartels invités devraient rester permanents car ils enrichissent profondément la collection. Il est dommage que les publics ne puissent pas en profiter en dehors de leur exposition temporaire. Le projet est trop bien pensé pour s’en priver de manière pérenne…  Ils permettraient aussi d’encourager l’actualisation de plus de cartels le reste de l’année.

A l’année prochaine pour la 4ème édition !

 

Commissariat : Krystel Gualdé

Date : Du 13 mai au 12 novembre 2023.

Lieu : Musée de l’Histoire de Nantes – au sein du Château des Ducs de Bretagne

 

CREDITS

Image de couverture
Banks’s Army Leaving Simmsport, Harper’s Pictorial History of the Civil War (Annotated), © Kara Walker

Galerie
– Outre-Mémoire, © Jean-François Boclé, 2004
– Expression(s) décoloniale(s) #3 _ Barthélémy Toguo, Strange Fruit _ Château des ducs de Bretagne – musée d histoire de Nantes © David Gallard _ LVAN
– Barthélémy Toguo – My Body My Choice, 2019 – © Barthélémy Toguo _ Courtesy Bandjoun Station & Galerie Lelong & Co.
– Das avós, © Rosana Paulino

 

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