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La Quadriennale de Prague bat son plein

La Quadriennale de Prague bat son plein

11 June 2023 | PAR Julia Wahl

La Quadriennale de Prague a ouvert ses portes cette semaine. Ce rendez-vous international de la scénographie voit la France concourir pour la deuxième édition consécutive, avec comme artistes phares Théo Mercier, Céline Peychet, Cyril Teste et Nina Chalot.

La Quadriennale de Prague

Fondée en 1967, la Quadriennale de Prague est consacrée à la scénographie théâtrale sous tous ses aspects, espace, costume, lumière ou son. Son objet principal est de présenter la scénographie théâtrale contemporaine comme un art autonome. Initiée par le Ministère de la Culture tchèque, elle est organisée par Arts and Theatre Institute.

Pour son édition 2023, la Quadriennale prend place au cœur du Holešovice Market, un immense marché de fleurs et de vêtements, composé de plusieurs maisonnettes. Il s’agit d’une première, l’espace habituel étant en réfection à la suite d’un incendie. Ce nouveau lieu permet à la Quadriennale d’investir l’intérieur comme l’extérieur.

La Quadriennale de Prague propose en effet deux types de concours : un premier, nommé “Pays et régions”, destiné à des artistes reconnus, a lieu en intérieur. Les installations des différent·es scénographes sont dans l’une des maisonnettes, sur plusieurs étages. Le second concours, “Écoles”, se déroule en extérieur. Il s’agit de propositions réalisées par des étudiant·es encadré·es par un·e artiste. Ces deux sections sont unies par un même thème, celui de la “rareté”.

Outre ces deux espaces et concours, la Quadriennale investit la Galerie nationale avec une exposition d’artistes issu·es de différents pays. Pour la France, c’est le scénographe Raymond Sarti qui présente son projet de Teatmobil (“théâtre mobile” en créole) pour le CDN de l’Océan indien sous forme d’une exposition nommée Facing the world.

La Quadriennale est également ponctuée de performances et rencontres tout au long de ses onze jours.

La France à la Quadriennale

Absente de la Quadriennale entre 2003 et 2019, la France était, grâce à Artcena, de retour lors de l’édition précédente, qui avait vu Microcosm, de Philippe Quesne, remporter le Prix du Meilleur Pavillon de la section “Pays et régions”. Cette année, elle concourt sous les deux catégories “Pays et régions” et “Écoles”.

Du sable et du béton

Du sable et du béton : c’est ainsi que l’on pourrait sous-titrer l’installation Gut City Punch (“Coup de poing dans le ventre de la ville”), de Théo Mercier et Céline Peychet.

Située au fond du pavillon “Pays et régions”, cette installation envahit tout un pan de mur. Un chantier, avec ses tuyaux et ses parpaings, est reconstitué en sable humidifié. Le choix du matériau n’est évidemment pas anodin : sa surutilisation actuelle, due en grande partie à l’artificialisation du sol (autoroutes, immeubles…), précipite sa raréfaction. Lié dans notre imaginaire à la mer, sinon à l’enfance et ses châteaux de sable, le sable est en effet le matériau à partir duquel on crée le béton qui façonne nos villes en des constructions bien plus monumentales que nos anciens jeux de plage.

Cette réflexion sur la raréfaction de ce matériau informe le processus de création : Théo Mercier et Céline Peychet conçoivent cette installation comme un modèle de circuit court. Iels ont en effet pris du sable venant d’un chantier voisin et voué à retourner dans ce même chantier. Ainsi, la question du recyclage et du réemploi participe de l’élaboration de l’œuvre. De ce fait, celle-ci est éphémère : Céline Peychet insiste sur le fait qu’il s’agit là d’une œuvre in situ. S’il est possible d’en renouveler le principe, aucune déclinaison de ce travail ne saurait répéter la précédente à l’identique.

Pour mener à bien cette création, Céline Peychet et Théo Mercier ont fait appel à trois sculpteurs de sable, Enguerrand David, Jirí Kašpar et Jeroen Advocaat. La précision de leur travail rend la présence de ce chantier de sable particulièrement marquante. Elle est rehaussée par une lumière brutale, froide, qui augmente l’impression de malaise. Les artistes ont en effet réuni en un même carré, au-dessus de leur sculpture, plusieurs panneaux de LED ; ainsi, le sable tire vers le blanc et nous emmène dans un espace étrange, où la quotidienneté apparente du chantier flirte avec l’irréel. La composition sonore de Joseph Schiano di Lombo accroît encore cet inconfort.

Eau et pierre calcaire

Côté “Écoles”, c’est l’eau qui est au centre de la création. Nina Chalot insiste toutefois sur le fait que l’installation ne saurait se réduire à une réflexion sur la rareté de l’eau : selon le point de la planète où nous nous trouvons, nous pouvons souffrir de l’absence de l’eau comme de son contraire, une abondance excessive. Ce qui importe ici, c’est ce processus de création unique, qui a permis à des jeunes étudiant dans sept écoles d’art différentes – École du TNS, ENSA-Nantes, ENSATT, École nationale d’architecture Paris La Villette, HEAR Strasbourg, EnsAD et École nationale d’architecture Paris-Malaquais – d’être réuni·es pendant un an sous la houlette de Nina Chalot et Cyril Teste.

Cette importance du processus est à l’origine de l’édition d’un document distribué par les étudiant·es aux visiteurs et visiteuses. Dans cette plaquette qui est une part entière de l’œuvre, les jeunes artistes font état des sept résidences de recherche et création avec différent·es artistes et artisan·es issu·es de différents métiers. Lors de ces différents moments, iels ont essayé différent·es idées et matériaux, et c’est à l’issue de ces expériences que la forme de l’exposition a surgi.

Le travail du calcaire a particulièrement intéressé l’ensemble des étudiant·es, qui ont eu l’idée de travailler la question de l’eau et de son rapport à l’être humain. Sous le titre We do not own the water (“l’eau ne nous appartient pas”), le pavillon France de la section “Écoles” propose donc, dans un espace de 4x4m, une suspension de fontaines en calcaire. Grâce à la porosité de ce matériau, l’eau coule et transpire d’une fontaine à l’autre. Les visiteurs et visiteuses sont invité·es à en faire l’expérience en caressant lesdites fontaines. Quand celles-ci se tarissent, les étudiant·es les remplissent à nouveau d’eau, inversant les rapports entre eau et être humain : c’est désormais cette première qui gouverne le calendrier du second et non le contraire. Enfin, cette eau provient bien sûr d’une rivière voisine, la Vltava, ce qui assure là encore la brièveté du circuit.

Communauté de thèmes, variété des esthétiques

Comme l’on pouvait s’y attendre avec le thème de la rareté, nombreuses sont les installations des différents pavillons à interroger visiteurs et visiteuses sur la rareté des ressources en énergie.

De sable et d’eau

Les deux éléments phares des expositions françaises, le sable et l’eau, sont omniprésents dans l’ensemble de la Quadriennale.

           Norvège                                Suisse

La Slovaquie et la Norvège, par exemple, nous proposent des installations et performances où le sable est un élément central. Côté slovaque, les étudiant·es construisent en sable, durant les onze jours de la Quadriennale, une réplique du château de Bratislava. Il s’agit de rendre compte du perpétuel changement au cœur du processus théâtral, le sable étant choisi pour son caractère éphémère. Visiteurs et visiteuses sont invité·es à prendre part à la construction de cet énorme château de sable.

Côté norvégien, la question du mouvement perpétuel est également mise en avant par une chaîne déposant sans cesse du sable au sol. Les étudiant·es doivent régulièrement remettre du sable dans la machine pour lui permettre de mener à bien son office. Comme les étudiant·es français·es qui se soumettaient au cycle de l’eau, les étudiant·es norvégien·nes se soumettent à celui du sable.

La raréfaction et la fonte des glaces est l’objet du pavillon estudiantin du Québec et du Canada : un immense iceberg recouvre un structure en bois dont chaque élément est relié à un autre. Ainsi, l’interdépendance entre chaque élément de la planète est thématisée. La question écologique est également posée par le pavillon suisse, qui interroge l’exploitation de minerais rares en vue de concevoir nos smartphones et ordinateurs. Elle pose aussi la question du sort des ouvriers et ouvrières exploité·es dans des conditions particulièrement sordides pour mener à bien la fabrication de nos tablettes numériques.

Comme l’indique la directrice artistique de la Quadriennale de Prague Markéta Fantová, d’autres thèmes sont abordés, comme le besoin de calme et de solitude.

Folklore et modernité

La directrice artistique pointe également l’importance des folklores et traditions dans certains pavillons. Si les pavillons français et suisses s’ancrent résolument dans une esthétique contemporaine, d’autres pays ont fait le choix de mettre en avant leurs traditions ou de relier folklore et modernité.

C’est à n’en pas douter le cas du pavillon roumain de la section “Écoles”, qui fait se rencontrer des costumes théâtraux traditionnels, des marionnettes à fil et des plans de scénographies contemporaines. Dans la section “Pays et régions,” le pavillon marocain, qui présente de nombreuses maquettes, propose comme point de départ à son travail le tarbouch, cette coiffe traditionnelle portée par les hommes.

Cette cohabitation d’esthétiques fort diverses crée un joyeux mélange et permet aux un·es de découvrir les préoccupations esthétiques des autres.

La proclamation des résultats du concours aura lieu à la fin de la Quadriennale.

Mise à jour du 15 juin : le palmarès !

Golden Triga : Chypre, Spectators in a Ghost City

Meilleure exposition École : Liban, Puzzles

Meilleur concept de l’exposition Pays et régions : République tchèque, Limbo Hardware

Concept le plus créatif de l’exposition Écoles : Serbie, Daydreaming

Meilleure conception de l’exposition Pays et régions : Hongrie, winterreise.box

Conception la plus imaginative et créative de l’exposition Écoles : Finlande, Suo, silent, disco

Meilleur travail d’équipe de l’exposition Pays et régions : Brésil, We believe in crossroads

Travail d’équipe visionnaire de l’exposition Écoles : Géorgie, The Box

Prix du Jury de la Quadriennale de Prague : France, Gut city Punch

Prix de la meilleure publication : Terese Longva et Laurel Jay Carpenter, 10 Together: Performances By Longva+Carpenter 2010-2020

Prix de la meilleure performance : Jill Planche et Mhlanguli George, Theatre in the Backyard: Spaces of Immanence, Places of Potentiality

Scénographie visionnaire : Thaïlande, Theatre to Go

Réactivité aux urgences planétaires, Exposition Écoles  : Pologne, Asylum

Réactivité aux urgences planétaires, Exposition Pays et régions : Arménie, I see, I cannot see

Échanges interculturels, Exposition Écoles : Philippines, Magbigay ayon sa kakayahan, kumuha batay sa pangangailangan. Give what you can, take what you need.

Action communautaire, Exposition Pays et régions : Serbie, Moonshine Piano

Meilleure performance de l’exposition Ecoles : Estonie, Lab of Figurative Thought: You Have Only a Moment

Prix Volkswagen de l’exposition la plus durable : République tchèque, Limbo Hardware

Prix tchèque de l’exposition la plus sensible aux réalités sociables : Catalogne, Crop

Prix “Enfants” de la Quadriennale de Prague : Portugal, Half the minutes

 

Visuels : Adam Mrácek, Jan Hromádko, Saymon Stasiak, Artcena, Ondrej Pribyl

Marc Chagall: l’artiste a désormais son site Internet officiel
Expression(s) Décoloniale(s) #3, le projet à suivre du Musée d’Histoire de Nantes !
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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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