Politique culturelle
Olivier Py “Chaque heure du festival est une épopée !”

Olivier Py “Chaque heure du festival est une épopée !”

20 July 2022 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Cette année Toute La Culture et Opsis TV se sont associés pour réaliser des reportages vidéos au Festival d’Avignon. 

 

Olivier Py bonjour, merci beaucoup d’avoir accepté cette interview pour OPSIS TV et Toutelaculture. Vous êtes le directeur du Festival d’Avignon depuis maintenant dix ans…

Neuf, en réalité. Mais oui, je vais quitter le festival d’Avignon, puisque c’est mon dernier festival, avec une immense émotion, une très grande tristesse, mais aussi avec la joie d’avoir un merveilleux successeur qui est Tiago Rodrigues.

 

Vous répondez ainsi à ma première question : est-ce que vous êtes heureux ?

Ah je suis heureux, mais je suis triste, évidemment. Le festival a été toute ma vie, et non seulement le festival mais aussi ce qu’il symbolise, c’est-à-dire la démocratisation de la culture, une autre manière de faire de la politique, peut-être, et puis ces rencontres extraordinaires, ce foisonnement humain, toujours dans l’espérance… il n’y a rien qui ressemble au festival d’Avignon dans le monde, rien !

Vous dites « le festival d’Avignon c’est toute ma vie », peut-être pouvez-vous nous dire pourquoi : vous êtes l’un des rares qui ont été découverts au OFF ! Vous avez commencé à Avignon, en tant que metteur en scène, comédien, chanteur que vous êtes.

Tout à l’heure, j’ai rencontré 400 enfants dans la cour du palais des Papes qu’on accueillait ce matin. J’essayais de trouver une métaphore qui leur fasse comprendre ce qu’est le festival d’Avignon et je leur ai dit : pour moi, quand je suis arrivé au festival, j’avais 18 ans, c’était l’équivalent de la lettre de Poudlard qui va inviter Harry Potter à devenir un magicien. Et ce monde magique, c’est le festival d’Avignon. Je crois qu’ils ont très bien compris. Je ne retirerais pas un mot à ça. Oui, c’est un monde magique, bien sûr, dans lequel on a sa place, dans lequel on peut jouer un rôle. Ma vie et le festival ont été absolument synonymes ces 35 dernières années.

Ne parlez pas au passé ! Vous étiez au festival comme directeur mais vous êtes artiste et vous restez artiste !

Bien sûr, et puis non pas seulement ça, je reste surtout spectateur ; l’année prochaine je serai spectateur du festival d’Avignon sans avoir tous les soucis du festival, ce sera magnifique.

 

Parlons de ce festival-là : lors de la conférence de presse en mars, vous aviez dit que le fil conducteur était « il était une fois ». Nous nous rencontrons le 14 juillet, donc le festival n’est pas du tout fini, mais en tout cas depuis son commencement je vois deux thèmes qui sont le clubbing (ça danse beaucoup) et la musique. Je voulais savoir si vous étiez d’accord avec ça ?

Il y a toujours plusieurs thèmes au festival d’Avignon !

Je ne sais pas si c’est un thème, mais en tout cas la musique live est omniprésente !

Oui, c’est très vrai, et évidemment il y a difficulté à éditorialiser un festival au mois de mars, quand les spectacles ne sont pas faits, ne sont pratiquement que des créations, donc j’avais choisi un thème assez large. « Il était une fois », le narratif, les récits, les légendes etc, je ne risquais pas grand-chose. Mais c’est vrai, il y a une présence de la musique live, donc de l’interdisciplinarité très forte. Entre la danse et le théâtre les limites sont devenues très poreuses, y compris dans la cour du palais des Papes. Tant mieux, magnifique, j’applaudis à cette présence de la musique. J’applaudis aussi à la présence du public, parce que c’est le public qui nous fonde. Sans le public nous ne sommes rien. Quelle est notre légitimité ? Ce ne sont pas les éditos d’Olivier Py, non, c’est la présence du public.

Qui est très nombreux cette année !

Oui, qui est très nombreux. Il reste toujours des places ! Un directeur dit qu’il reste toujours des places !

Oui, il faut peut-être le dire aussi, qu’il y a des places au festival d’Avignon, que vous avez fait ça aussi, le fait de garder quelques places le soir même quand vous pouvez.

C’est encore un peu plus complexe, disons que, comme on a voulu des préférences tarifaires pour les moins de 25 ans, pour les chômeurs, pour ceux qui bénéficient des minimas sociaux, ça implique que l’on contingente des places. Donc il y a des places qui sont là au cas où ces tarifs réduits seraient présents. Ce qui veut dire que les jauges bougent et qu’une jauge complète, quelquefois, n’est plus complète trois jours plus tard. Mais c’est vrai que nous avons une grande adhésion du public dans un moment très difficile puisque le public n’a pas retrouvé le chemin des salles et des salles de cinéma non plus. Donc il y a une grande inquiétude dans l’ensemble de la profession. Même si le festival d’Avignon affiche le beau fixe à la billetterie, il y a une grande, grande inquiétude.

En tant que directeur, vous avez vécu des épopées : vous avez commencé avec une grève, et là vous avez eu deux ans de covid. Qu’est-ce que vous avez retenu de ces moments qui sont quand même très étranges ?

Mais chaque festival est une épopée. Chaque heure du festival est une épopée ! Il y a tous les jours une tuile qui se décroche du toit pour tomber sur la tête du directeur, de la direction technique, de la billetterie, de toutes les équipes du festival !

Il n’y pas tous les jours une grève massive alors que c’est votre premier festival !

Non, il n’y a pas toujours une grève massive, il n’y a pas toujours des orages qui annulent trois représentations dans la cour, heureusement, on n’a pas toujours des situations catastrophiques. Et puis il y a aussi tous les moments d’enthousiasme, les surprises incroyables, les miracles, les salles debout, les gens qui vous embrassent dans la rue spontanément pour vous remercier… vraiment, il ne faut pas s’imaginer qu’on est imperméable aux compliments quand on est directeur du festival, bien loin de là, au contraire. Mais ça reste une épopée, oui.

Il y a quelque chose que vous avez amené je trouve, peut-être cela vous surprendra-t-il, c’est le rapport au digital. Le festival d’Avignon est enfin sur Instagram ! On fait des stories, on peut suivre les coulisses !

Pourquoi cela me surprendrait ? Au contraire, je l’ai voulu, je l’ai appelé de mes vœux, bien évidemment. La période covid nous a monstrueusement aidés à développer le streaming, la captation. Tous les spectacles du festival sont captés, reste à trouver les plateformes quelquefois pour les diffusions. Tous les billets ont été numérisés, ça aussi ça a été une véritable révolution pour nous. Oui, le numérique est un allié du festival. Mais rien ne remplace un lever de rideau en live !

Je dis ça parce que j’aime particulièrement quand vous amenez des textes de la tragédie antique, quand vous faites des spectacles-fleuves, donc vous êtes quand même dans un rapport très direct au public. Par exemple, dans vos spectacles, il n’y a pas de vidéos.

Dans les miens, il n’y en a pas, parce que je ne sais pas le faire, je n’en suis pas capable, mais il y a des grands artistes qui utilisent la vidéo et qui le font admirablement, dont Kirill Serebrennikov d’ailleurs.

Oui ! Ce que je voulais vous demander, c’est si vous voyiez le digital comme un moyen d’ouvrir le festival à d’autres publics ?

Non, pas forcément. Je ne crois pas que l’élément de démocratisation culturelle soit majeur dans l’utilisation du digital. D’abord parce que, pour ouvrir le festival à d’autres publics, il faudrait qu’on puisse vendre plus de billets, ça veut dire plus de subventions. C’est ce que j’ai expliqué quelquefois aux pouvoirs publics : si vous voulez qu’on vende 50 000 billets de plus, moi je vous garantis qu’on les vendra, mais il faut me donner les moyens de les mettre à la vente.

Et avoir un festival plus long aussi !

Et avoir un festival plus long, éventuellement, donc mettre plus de billets à la vente. Ce serait ça, d’abord, la démocratisation culturelle. Mais parallèlement, la vie de la culture, la vie de l’esprit, passe aussi dans tous les canaux possibles et imaginables et ça peut être les réseaux sociaux, les plateformes, bien évidemment.

La démocratisation culturelle, pour vous elle passe par le territoire, je pense que vous aimez bien ce mot. Depuis que vous êtes directeur, vous avez beaucoup recentré le festival d’Avignon à Avignon.

Oui, il m’a semblé que dans « festival d’Avignon », le « d’ » n’était pas le plus implicite. Et qu’en tout cas dans la ville d’Avignon, dans laquelle j’ai vécu ces dix dernières années, le festival pouvait être perçu – mais c’était il y a dix ans ! – comme un colonialisme parisien. Alors ça, ça ne me plaisait pas du tout. Il y a deux choses qui ne me plaisaient pas : que la ville d’Avignon vive le festival comme ça, et qu’on puisse imaginer que le festival est élitiste. En quoi l’est-il ? Avec des places à dix euros pour aller voir Shakespeare ou des grands chorégraphes ? Non, ce qui est élitiste, c’est des places à 400 euros pour aller voir des stars de la pop, ça c’est l’élitaire.

Merci pour ça. On va parler de danse un peu ! Je crois que ce n’était pas votre terrain de jeu favori quand vous avez commencé, et au fur et à mesure de vos programmations, on a vu de la danse contemporaine de plus en plus exigeante, et là cette année on a chef-d’oeuvre sur chef-d’oeuvre, la danse est radicale, on a Jan Martens, François Chaignaud, on a vu Emmanuel Eggermont avec son All over nymphéas  qui est un spectacle qui m’a subjuguée… est-ce que votre rapport à la danse a changé ?

J’ai toujours adoré la danse. Ce n’est pas parce que je suis un homme de théâtre et un homme de lettres que je n’aime pas la danse ! D’abord j’ai été un peu dans le mouvement de la danse contemporaine quand j’avais 20 ans, mais j’étais jeune et svelte…

Ah bon, vous avez dansé ?

Bien sûr, j’ai beaucoup dansé !

Mais professionnellement ?

Bien sûr, mais j’adore la danse ! Je prenais des cours au centre de danse du Marais, comme tous les jeunes Parisiens des années 80 ! J’ai toujours adoré la danse. Et comme en plus je ne suis pas chorégraphe, évidemment j’ai de l’admiration d’autant plus grande pour les danseurs. Et puis, dans le travail que j’ai fait à l’opéra, j’ai toujours travaillé avec des danseurs. Donc pour moi, il n’y a eu aucune difficulté à organiser la transdisciplinarité ou l’indisciplinarité sur les scènes du festival.

Parlons de Miss Knife. Déjà, je dois vous dire que je suis très amoureuse de Miss Knife, à chaque fois que Miss Knife enlève sa perruque, je pleure, et je la fréquente très souvent, dès que je peux, donc j’ai très hâte de la retrouver le 26 juillet en clôture de ce festival. Pouvez-vous expliquer qui elle est ?

C’est mon double schizophrénique féminin, c’est une vieille chanteuse qui a toujours été vieille, même quand j’avais 20 ans elle était déjà vieille. Donc elle se bonifie, je me rapproche de l’emploi ! Mais enfin, en fin de festival, elle risque d’être baryton-basse quand même, je crois qu’on va tout transposer trois tons en-dessous.

Est-ce vrai qu’à chaque fois que vous avez quitté un lieu, vous êtes accompagné de Miss Knife ?

Oui, c’est vrai. Quand il y a eu des événements, comme ça…

Pourquoi vous avez besoin d’elle pour finir ?

Parce qu’émotionnellement, partir du festival d’Avignon, c’est très fort pour moi, donc c’est bien que je mette des paillettes et des talons et une perruque, pour faire de cette émotion quelque chose d’autre que la complaisance émotionnelle égotique, narcissique.

Visuel : © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 
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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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