Théâtre
Avignon OFF : une plongée dans “Baran, une maison de famille”

Avignon OFF : une plongée dans “Baran, une maison de famille”

29 July 2022 | PAR Lucine Bastard-Rosset

Baran, une maison de famille prend place au sein d’une fratrie des plus ordinaires. Deux sœurs et un frère se retrouvent par delà les années pour l’anniversaire de leur mère, toujours plus distants et étrangers les uns pour les autres. Une pièce sur les relations familiales qui s’est produite durant le Festival d’Avignon tout juste achevé.

Baran, une maison de famille a été créé durant le Festival du Paon qui a lieu chaque année dans les Alpes de Haute Provence. Un groupe de jeunes artistes s’y retrouve pour créer in situ des spectacles dans des lieux non-dédiés au spectacle vivant. 

L’innocence de la jeunesse ?

Romain a la quarantaine, il s’adresse au public en avant-scène, relatant des souvenirs d’enfance. Il parle de sa famille – de ses sœurs et de sa mère – et de la chanson française. Il mentionne tous ces artistes qui constituent notre patrimoine culturel et qu’il était obligé d’écouter, à tel point qu’il connaissait et connait encore leurs chansons par cœur. Ces anecdotes sont légères et agréables, mais un malaise s’en échappe. Certains propos ont un impact plus lourd, ils résonnent de manière étrange, comme cette phrase qui arrive sans qu’on ne s’y attende : “Y a pas un homme qui survit chez nous”. Que signifie-t-elle ? Par ce discours, on pressent la suite de l’histoire, l’alternance inexorable d’instants graves et doux, cette ambivalence qui laisse perplexe, qui entraîne un léger rire nerveux. 

Débute alors cette grande fresque familiale qui s’étend par delà les années. On y suit une fratrie sur trois décennies différentes – à 15, 30 et 40 ans – à l’occasion de l’anniversaire de leur mère. Cette mère qui n’apparait jamais mais dont la présence plane sur la maison tel un fantôme. Cette mère qui n’existe qu’à travers les paroles de ses enfants mais dont le désir de contrôle et d’emprise est perçu. Cette mère qui souhaite garder ses enfants pour elle et pour toujours, incapable d’accepter qu’une nouvelle personne devienne un membre de sa famille.

Des fissures toujours plus profondes

Dans la première partie du spectacle, Romain, Céline et Lucie sont encore au lycée et préparent une soirée surprise pour l’anniversaire de leur mère. Ils se disputent et se chamaillent, parlent les uns sur les autres et ne s’écoutent pas. Le ton monte puis redescend aussitôt, pour repartir de plus belle. Lucie se met dans des états excessifs, Céline tente de contrôler toute la situation et Romain prend le parti de l’une ou de l’autre selon les occasions. Ils se moquent mutuellement de leurs défauts et enchaînent les railleries toujours plus agressives et méchantes. S’installe une tension qui ne cessera de s’accroître.

Quelques années plus tard, se joignent à ce trio infernal trois nouvelles personnes : un beau-frère excentrique, une belle-sœur un peu trop sage qui ne comprend pas le fonctionnement de cette famille et un demi-frère bon vivant. Ces trois individus amènent des regards extérieurs sur la famille et leurs comportements désamorcent les répliques toujours plus violentes entre Romain, Céline et Lucie. Ils amènent une bouffée d’oxygène dans cette maison où personne ne prend véritablement le temps de s’écouter, où l’individualité prône en entraînant un déchirement toujours plus grand.

Cependant, leur présence ne fait aussi que rendre plus tangible l’instabilité de cette fratrie et met en exergue les souffrances de chacun. L’atmosphère se tend toujours un peu plus, comme pour montrer qu’ils ne sont pas vraiment les bienvenus et ne le seront probablement jamais. Une course effrénée vers la dissolution.

Un huis-clos sous tension

L’ensemble de la pièce se déroule au cœur de cette maison de famille, dans un décor au réalisme étonnant qui contribue à nous faire entrer dans cette intimité. Les personnages sont piégés dans les pièces communes, au milieu du four, du frigo, de la table de la cuisine, du salon et du canapé, sans véritable échappatoire. Ils chantent et discutent jusqu’à l’implosion, enfonçant les couteaux dans les plaies. L’écriture est percutante et accentue le malaise, nous plongeant dans un débat intérieur : faut-il rire ou pleurer de ce qui se passe ? Elle est portée par des comédiens qui arrivent à faire sentir le temps qui passe et le brasier qui s’enflamme.

Un spectacle d’une justesse incroyable mettant en scène des actions où le réalisme prône, qui nous amène à nous questionner sur notre propre famille.

Une pièce écrite collectivement et mise en scène par Alice Sarfati. Interprétée par Laura Domenge, Margaux Grilleau, Valentin Rolland, Sylvère Santin, Vincent Steinebach et Judith Zins. Présentée du 7 au 26 juillet, à 18h50, à La Manufacture, dans le cadre du festival OFF d’Avignon 2022. 

Visuel : ©Affiche

« Lost lost lost » sur Tenk : se perdre dans New York avec Jonas Mekas… et s’y retrouver !
Avignon OFF 2022 : Téléphone-moi, une fresque familiale brillante sur 3 époques
Lucine Bastard-Rosset
Après avoir étudié et pratiqué la danse et le théâtre au lycée, Lucine a réalisé une licence de cinéma à la Sorbonne. Elle s'est tournée vers le journalisme culturel en début d'année 2022. Elle écrit à la fois sur le théâtre, la musique, le cinéma, la danse et les expositions. Contact : [email protected] Actuellement, Lucine réalise un service civique auprès de la compagnie de danse KeatBeck à Paris. Son objectif : transmettre l'art à un public large et varié.

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration