Politique culturelle
Interview : Prisca Harsch défend l’éclectisme au Festival Antigel à Genève

Interview : Prisca Harsch défend l’éclectisme au Festival Antigel à Genève

17 February 2020 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Prisca Harsch est aujourd’hui en charge de la programmation des arts vivants du festival Antigel. Celle qui dansa pour Béjart  et Gallotta a accepté de répondre à nos questions, en compagnie d’Olivier Frégaville-Gratian d’Amore à la veille de la clôture de la 10e édition du Festival interdisciplinaire Suisse : Antigel.

Nous sommes à l’ACD, où va se dérouler le programme de soir, une soirée partagée entre Rafaële Giovanola et Annamaria Ajmone. Parlez-moi de ce lieu. 
L’ACD c’est l’association pour la danse contemporaine qui est vraiment le premier lieu qui a défendu la danse contemporaine et qui a présenté des productions internationales et qui utilise beaucoup de créations. Il existe maintenant depuis trente ans et  va déménager vers le nouveau pavillon de la danse.

Un pavillon de la danse ?
Le pavillon de la danse ça va être un lieu vraiment dédié à la danse contemporaine, c’est un grand plateau en plein centre-ville. L’ADC et ses adeptes se sont battus longtemps pour que cela existe, pour qu’il y ait vraiment un plateau reconnu pour la danse,  pour que la danse puisse être développée et puis présentée à sa juste valeur, avec un vrai plateau. Nous nous parlons dans une  salle qui était en transition normalement, mais l’ADC y est depuis longtemps.

Nous nous rencontrons à l’occasion du Festival Antigel, mais est-ce que l’ADC a une programmation propre ?
Oui, c’est un lieu qui œuvre toute l’année, donc il y a une saison. Mais nous,  avec le festival Antigel, on travaille avec l’ensemble des communes genevoises. Pour revenir à Antigel, nous sommes étendus sur l’ensemble du canton,  donc autant avec des partenariats avec des salles comme celles-ci, avec l’ADC ou avec le BFM, ou d’autres salles, comme l’Alhambra où Jeff Mills joue ce soir. Voilà. Et puis le festival se tient dans des lieux atypiques, dans tous les lieux possibles et imaginables pour y présenter soit des concerts, soit de la danse, de la performance, enfin tout ce qui est possible de faire.

(Olivier Frégaville Gratian d’Amore) : Quelles sont les disciplines que renferme Antigel ?
Alors essentiellement musique, danse, performances et théâtre contemporain, pas vraiment théâtre-théâtre, mais ce sont des formes plutôt performatives.

Vous programmez des pièces qui ont déjà tourné, comme Rémi de Capdevielle, Inoah de Beltrão…

Ah, c’est parce que vous êtes français, mais nous à Genève, on attend que les choses viennent vers nous et elles viennent à Antigel. Et il y des choses que vous ne connaissez pas tout de même ! ( rires)

(Olivier Frégaville Gratian d’Amore) : Et Antigel a dix ans.  Comment le festival s’est-il créé,  quelle en a été la teneur au début du festival et qu’est-elle en train de devenir ?
Au tout début, tout le monde avait envie d’un festival en hiver car la plupart des festivals de ce type-là n’existent que l’été. Et puis c’était l’idée aussi d’un dégel, d’où le nom d’Antigel,  parce qu’il y avait un gel justement concernant les fonds publics pour la culture. Tout le monde nous disait “c’est impossible de créer un festival maintenant, il fait froid, les gens n’ont pas envie de sortir, après Noël, plus personne n’a d’argent”. Et puis voilà, obstinés, on a pensé que non, il y avait moyen de faire bouger les gens, aussi de les sortir du centre-ville. Il y a aussi tout un lien avec le patrimoine et puis le territoire dans lequel on vit, la ville dans laquelle on vit,  qu’on ne connaît souvent que sous certain angle. Et puis c’était l’occasion de faire le pari de faire découvrir Genève sous toutes ses facettes. On a fait la première année, et puis en fait ça a super bien marché. Et à partir de là, eh bien, on ne s’est plus arrêtés.

Vous dites « on », qui est « on » ?
Alors c’est Thuy-San Dinh qui est la codirectrice, Eric Linder, codirecteur et à l’époque, à la création, il y avait encore Claude Ratzé, qui était aussi à la codirection et qui maintenant est directeur du festival La Bâtie, un peu l’opposé en été.

Et donc, comme le disait Olivier Frégaville, sa question portait sur la diversité de vos genres programmatiques; quand je vois  Morby, Beltrão, j’ai un peu du mal à comprendre justement le fil de la programmation. 
Il n’y en a pas justement, ce n’est pas une idée de travailler sur une thématique absolument. L’objectif c’est vraiment d’arriver à rassembler un public qui habituellement ne va pas voir du Capdevielle, par exemple, et qui va pouvoir y aller parce que, par hasard, il est allé voir un concert dans une commune et qu’il l’a trouvé génial, qu’ il s’est dit « Allez, on découvre ». Donc on a vraiment un nouveau public qui n’est pas le public initié habituellement. Ça  c’était vraiment le gros défi, c’est une de nos grandes fiertés : et aujourd’hui, de voir que maintenant le public est là, suit, vient, découvre …  Il y a dix ans, on a invité par exemple Gisèle Vienne, la première année du festival. Donc c’étaient des paris qui sont gonflés dans la mesure où c’est un public super éclectique. Encore une fois, on arrive avec une salle qui ne va pas avoir déjà une fidélité dans son public ou au moins une lisibilité dans ses choix de programmation, là c’est plus éclectique.

François Germanier, attaché de presse du festival : Oui, et il faut peut-être préciser que ce qu’elle a dit au niveau de l’éclectisme des spectacles et dans la programmation arts vivants, se retrouve aussi en musique. J’attire aussi votre attention sur le fait que la musique c’est aussi une grosse partie de notre programmation,  qui va de Wooden Elephant à un concert de post-punk  vraiment distordu. Tout était complet.  Donc on va chercher un public qui est très varié aussi avec Le grand central pour le côté clubbing,  très jeune, c’est comme une boîte éphémère. Ce qui vaut pour le public en danse et performance, vaut aussi pour la musique.

Il y a combien de spectacles ?
Entre douze et quinze. Mais l’idée c’est plutôt, en général, de faire en sorte que les spectacles puissent s’étendre, jouer plus longtemps, on est moins dans des formats musique qui viennent une fois faire leur concert et ils repartent, non, nous c’est plus long. À part Bruno Beltrão qui est au BFM qui est une très grande salle, et là c’était l’occasion de le faire en une fois. Et puis on fait des créations aussi, on fait plein de choses, on a fait la création de Nina Santes, dans cette salle, il y a une semaine. Donc voilà, il y a des projets  très différents.

Et lorsque vous faites de la création, est-ce qu’après vous êtes dans des partenariats ? Là je pense à Nina Santes qui sera en mars à l’Atelier de Paris, est-ce que vous tissez des liens avec d’autres salles, d’autres pays ?
Oui, on tisse des liens avec d’autres pays, d’autres salles …

Vous faites de la coproduction ?
Alors normalement, on ne fait pas de coproduction, on n’a pas vraiment les moyens de faire de la coproduction, mais on s’engage aussi, justement;  après ce sont des choix d’affinités, de soutenir des artistes et puis c’est aussi l’occasion de pouvoir coproduire leurs pièces. Malgré tout il n’y a pas beaucoup de coproductions.

J’ai une question sur le public, il est divers;  est-ce que vous l’accompagnez, est-ce qu’il y a des bords de plateaux, des rencontres, est-ce qu’il se passe des choses en dehors des spectacles ?
Oui, il y a beaucoup de choses mais qui ne sont pas forcément des bords de plateaux. Les bords de plateaux en général, ce n’est pas nous qui les organisons, ce sont les artistes qui souhaitent le faire, par exemple Gaëlle Bourges avec Le Bain. Là ce soir, il n’y aura pas de bord de plateau, a priori. Non on n’est pas très bord de plateau, par contre nous on les accompagne …

Il y a des rencontres, des ateliers ?
Par exemple, Suzanne Ciani, pionnière de la musique électronique; elle a été la première femme à avoir fait de la musique sur un synthé, dans les années 70. Elle a fait un concert en ouverture, c’était le deuxième jour du festival,  et elle est venue à la suite de ce concert répondre aux questions. Donc c’était vraiment un genre de débat sur scène, et ça a vraiment bien fonctionné. Il y a pas mal d’interactions qui se sont créées avec le public, elle a vraiment bien joué le jeu. C’est une réussite. On a fait également un cycle de conférences, là, la semaine passée aussi, sur les enjeux justement de la culture et du territoire. Là c’était clairement plus théorique.

En termes de fréquentation, vous savez à peu près le nombre de spectateurs qui viennent ?
Oui, je pense, jusqu’à présent on était autour de 50 000. Cette année, je pense que c’est un peu plus car tout dépend de notre grand central. On n’a fait notre lieu central que dans des bâtiments éphémères,  donc chaque année, ça peut changer en fonction de ce bâtiment. Et là, on a une caserne des Vernets extraordinaire, qui peut accueillir beaucoup de monde et pratiquement tous les spectacles sont complets;  donc cette année c’était exceptionnel.

( Olivier Frégaville Gratian d’Amore) On vous souhaite de vivre dix ans de plus, mais est-ce qu’il y a pour les dix ans à venir une politique autre, une autre envie de développer d’autres choses?
Pour le festival en lui-même, l’objectif c’est toujours de trouver des nouveaux lieux, des nouveaux partenariats à l’intérieur du canton. Ça, c’est le gros travail de fond. Voilà, je pense que, oui, on n’essaie pas de développer le festival plus qu’on ne le peut, parce que là je pense qu’on est arrivé… Enfin on ne sait jamais,  mais nos objectifs sont largement atteints, après l’essentiel c’est de continuer à innover, d’arriver vraiment avec des artistes à découvrir aussi et puis convaincre le public de nous suivre.
On veut surtout fidéliser le public, plus que grandir exponentiellement;  mais fidéliser le public au travers de propositions qui sont assez novatrices en fait, parfois même assez rares; plutôt que de prendre ce qui se fait partout, on essaie de prendre le contrepied de ça et de faire des choses un peu différentes.

Vous avez déjà une visée de ce qui va se passer l’année prochaine ?
Un peu.

C’est secret ?
Oui. ( rires !)

Visuel : ©Mathieu Geser

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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