Politique culturelle
Avec Barbara Cassin, c’est Gorgias et Parménide qui entrent à l’Académie

Avec Barbara Cassin, c’est Gorgias et Parménide qui entrent à l’Académie

24 October 2019 | PAR Julia Wahl

Intronisée le 17 octobre à l’Académie française, Barbara Cassin représente, plus qu’une féminisation des Immortel.le.s, une approche renouvelée de la langue et des langues. 

C’est aux mal-aimés de l’histoire de la philosophie que la nouvelle académicienne s’est toujours intéressée, les Sophistes, Gorgias ou Parménide qui, au contraire du portrait qu’en fit Platon, n’utilisaient pas la langue à des fins de manipulation, mais rendaient compte de son formidable pouvoir sur le monde. Un combat entre les tenants de l’essence des choses et ceux qui pensent que ces dernières sont des constructions langagières qui traversa toute l’Histoire occidentale, de l’Antiquité à l’époque contemporaine en passant par le Moyen Age et la Renaissance.

Aussi est-ce parce qu’elle est persuadée que “dire, c’est faire”, pour reprendre l’expression d’Austin, que la philosophe et philologue se déclare favorable à la féminisation des noms de métiers : c’est une approche paradoxale de la langue qui, tout en lui attribuant un grand pouvoir, refuse de la sacraliser au point de la figer à jamais. Plus que la langue ne suit les évolutions de la société, elle les modèle ; c’est en disant “écrivaine” que l’on permettra aux femmes d’écrire, et non parce que les femmes écrivent que l’on créera le mot “écrivaine”. Si nous préférons les sophistes antiques et nominalistes médiévaux aux Platon et Guillaume de Champeaux, c’est parce que l’idée selon laquelle on fabrique en parlant nous offre accès à des mondes infinis.

C’est cette approche performative de la langue qui a amené Barbara Cassin à diriger ce formidable Vocabulaire européen des philosophes, qui nous invite à interroger la supposée équivalence entre Wahrheit, truth et vérité. Une somme dans laquelle on prend plaisir à se perdre et à créer, pour s’égarer encore dans cet étrange labyrinthe, des chemins improbables entre les différentes langues et, partant, à les enrichir toutes. Où la langue, tout en étant source de questionnement philosophique, nous convie à la création poétique. En bref, une approche multiple de la langue et des langues, dont la fonction référentielle est finalement peut-être la moindre. Sans doute est-ce dans ce sens qu’il faut comprendre son discours d’investiture, qui renvoie dos à dos globish et chauvinisme linguistique : un appel à créer des ponts entre les mots de toutes les langues pour enrichir toujours notre univers.

Image : logo de l’Académie française

Keith Tyson et Claude Monet, un surprenant dialogue
Vald se donne des réponses avec “Ce monde est cruel”
Avatar photo
Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration