
Mis au ban du Festival de Bayreuth, Jonathan Meese s’indigne
On avait demandé au sulfureux Jonathan Meese de diriger une nouvelle production de Parsifal pour l’édition 2016 du Festival de Bayreuth. Pour cette solennelle occasion, l’artiste plasticien et provocateur patenté avait promis de renoncer aux allusions nazies qui assombrissaient son oeuvre ces dernières années. Le couperet est néanmoins tombé après l’annonce de son projet, retoqué car “trop onéreux”: Jonathan Meese monte au créneau, et brosse du festival un portrait au vitriol.
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Le Festival de Bayreuth, c’est un événement: chaque année, près de 60 000 personnes s’y pressent depuis le monde entier, avec un engouement encore exacerbé par une demande intense qui allonge parfois les listes d’attente jusqu’à 10 ans. C’est aussi et surtout une grande cérémonie: des dizaines de milliers de wagnérophiles s’y rendent en pèlerinage, gravissant la célèbre “Colline verte” bavaroise pour assister à la représentation des principaux opéras du compositeur emblématique du romantisme allemand.
L’ambiance est donc fort solennelle dans le Palais des Festivals de Bayreuth, commandité par le compositeur lui-même afin d’y consacrer sa vision d’un “opéra de l’avenir”, le spectacle total (Gesamtkunstwerk, vous renchérira-t-on sur-le-champ). Depuis 1876, il accueille de façon annuelle ou bisannuelle des productions fidèles et des relectures, qui font parfois grand bruit dans le monde avisé et intransigeant du spectacle lyrique. On garde encore un vif souvenir de la production décapante du Ring – dit L’Anneau du Nibelung en bon Français- par Franck Castorf en 2013, et des indignations subséquentes parmi ce public plutôt conservateur.

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Katharina Wagner et Eva Pasquier-Wagner, les petites-filles du grand maître à la tête du Festival depuis 2008, n’avaient pourtant pas évité un nouvel éclat en désignant le controversé Jonathan Meese pour diriger Parsifal en 2016. Le plasticien, vidéaste et performeur né à Tokyo ne recule en effet devant aucune provocation, nichant dans ses spectacles et installations des allusions nazistes consternantes- son salut hitlérien lors de sa performance Jonathan Meese ist Mutter Parzifal avait notamment défrayé la chronique. Il avait pourtant promis de s’assagir pour l’occasion, le Festival redoutant une nouvelle assimilation entre l’oeuvre de Wagner et le fascisme, lien si péniblement décousu ces cinquante dernières années.
C’est cependant sur un critère qu’on n’attendait pas que le projet sensible a été retoqué: selon les organisateurs, il ne serait pas viable financièrement. Nouvelle provocation de l’artiste déplaçant par dépit ses excès sur son budget; ou faux-fuyant? Difficile d’en juger. Toujours est-il que Jonathan Meese a saisi l’occasion pour vilipender la direction du Festival, estimant qu’il n’y a plus de place pour l’art au Palais bavarois. Il rejoint ainsi le clan des indignés, ces Cassandre de plus en plus nombreuses à annoncer le déclin du Festival, qui perdrait en attractivité depuis quelques années. Car le Festival de Bayreuth est également un rassemblement mondain: l’absence remarquée d’Angela Merkel lors de l’ouverture de l’édition 2014 avait à ce titre alerté les disciples de Wagner, qui expliquent cette désertion par la fadeur et le mauvais goût des choix artistiques récents. Entre le conformisme trop prévenant et le scandale blasphématoire, gageons que la création peut tracer une nouvelle voie…
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Visuels: Palais des Festivals de Bayreuth (Bavière)
“Parsifal” au Palais des Festivals de Bayreuth en 1889
Jonathan Meese