Rap / Hip-Hop
[Chronique] « NGRTD » : le nouvel album de Youssoupha célèbre ses racines

[Chronique] « NGRTD » : le nouvel album de Youssoupha célèbre ses racines

03 August 2015 | PAR Elodie Schwartz

Trois ans après Noir Désir, Youssoupha revient plus fort que jamais avec un nouvel album baptisé NGRTD, aussi appelé Négritude. Joies et peines, le rappeur se livre à coeur ouvert. Sur une palette musicale impressionnante : folk, jazz, électro, rumba congolaise etc. le père de famille nous entraîne dans un tout autre registre : celui d’un voyage intimiste au coeur de l’Afrique…

[rating=3]

“Négritude” aurait dû être le nom de son premier album mais Youssoupha n’était à l’époque pas prêt à porter ce concept en musique. Il l’est cependant aujourd’hui et nous le fait savoir au travers de 16 titres tous plus engagés les uns que les autres. Mais qu’entend-il vraiment par « négritude » ? Se référant à Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor qui définissaient la “négritude” comme “un fait, une culture. Un ensemble des valeurs économiques, politiques, intellectuelles, morales, artistiques et sociales des peuples d’Afrique et des minorités noires d’Amérique, d’Asie, d’Europe et d’Océanie”, Youssoupha se situe dans la même lignée. Un challenge d’une grande ampleur mais dont il est à la hauteur.

Culture, rejet et donc combat, voici les notions relatives au concept de « négritude » que le rappeur originaire de Kinshasa replace ainsi au travers de son album dans le débat contemporain. “Négritude” semble pour lui être, au-delà d’un titre, une philosophie et une influence que l’on retrouve tout au long de ses chansons. Bakary Potter, de son surnom, offre en effet un audacieux mélange de genres musicaux – des sonorités africaines comme la rumba congolaise, le jazz ou encore le ndombolo au folk à l’électro – fait référence aux guerres civiles que connaît l’Afrique et rend hommage à ses frères et sœurs de couleurs ainsi qu’à ses proches. Abordant à la fois le politique et l’intimiste dans NGRTD, celui né en 1979 à Kinshasa, au Zaïre, s’est éloigné de son flow classique pour proposer un rap plus chaleureux, plus festif et surtout plus personnel.

L’histoire commence avec “Où est l’amour”, un morceau dont la prod est signée Céhashi, et qui est sans aucun doute la continuité de Noir D****. Avec ce titre Youssoupha revient en forme et surtout en paroles. Son texte est ciselé, ses punchlines franches (“J’ai mis un cheveu sur la langue de Molière”, “Mon album n’est pas le disque de l’année, c’est déjà le disque de l’année prochaine”) et la mélodie est entraînante. Dès l’introduction le Prim’s Parolier nous prouve qu’il n’est pas revenu pour rien et que sa plume est prête à faire couler encore beaucoup d’encre (“Vu que le ton est devenu aigre, je crée de nouvelles règles”, “L’album c’est Négritude mais il ne sort pas chez Pascal Nègre”). Sur “Salaam”, deuxième titre visiblement fait pour les concerts, Youssoupha, qui a grandi au Congo avant de venir vivre en France chez sa tante, montre son influence musicale (la rumba congolaise) en rappant sur un sample de “Flora, une femme difficile” de Franco ainsi que son désir de rassembler les populations. Antilles, Côte d’Ivoire, Libreville, Kinshasa, Montréal, l’hexagone… Tout le monde y passe.

Mais c’est dans “Points Communs” que le papa de Malik, diplômé de la Sorbonne Nouvelle, pousse la réflexion et appelle au partage et au rassemblement. “Bien sûr qu’on travaille pour le bien commun, cherchons pas nos failles mais nos points communs” chante-il avant de raconter son parcours (“Moi, j’ai dû faire le double pour qu’on me donne la moitié », « Je suis tombé, je me suis relevé”, “Vous vous moquez de moi parce que je ne suis pas comme vous, moi je me moque de vous parce que vous êtes tous pareils”). Frappé par les difficultés de la vie, Youssoupha raconte avec brio ses racines africaines, d’où il vient, sans oublier les embûches qu’il a rencontrées en chemin.

Bien au contraire, le rappeur les garde en tête, bien conscient qu’elles l’ont fait avancé mais qu’elles peuvent aussi tout faire basculer du jour en lendemain. Mort, prison… le rappeur a fait face à des situations tragiques. “Maman m’a dit”, qui rend hommage à sa mère décédée sur fond de ndbombolo, “Momento” et “Love Musik” (en feat avec Ayo), rappellent ainsi à quel point la vie fluctue rapidement. Dans ses titres à la suite logique, le message de Youssoupha est transcendant. Désormais, il ne veut plus “voir le verre à moitié vide mais plutôt à moitié plein” et cela se ressent dans sa love music, concept musical qui consiste à donner de l’amour et de la générosité au public.

Chaque morceau, rappé en français (et c’est bien là un reproche qu’on lui fait) possède son propre univers mais est finalement lié aux autres de par les thèmes abordés et la musicalité, ce qui finit tout de même par créer une harmonie certaine. NGRTD est chaleureux, généreux et fraternel. A l’exception du titre “A cause de moi”, un peu simplet, Youssoupha nous entraîne dans son univers : un monde blessé mais pas brisé, reconstruit peu à peu grâce à son public et “ses frères et sœurs”. “Entourage”, neuvième titre de l’album, insiste bien sur ses tourments et la complexité de l’amour dont il a été victime (“La France ne reconnaît pas les communautés mais nous traite comme telles”, “Quand les gens sont boycottés forcément ils se lassent, Quand on met les gens de côté forcément ils s’éloignent”).

Plus durs dans leurs paroles et dans leur beat, les titres “Mannschaft” et “Black Out” sonnent comme un écho au combat mené par Youssoupha. Combat qui participe à la défense du peuple Noir et à la paix entre les civilisations bien qu’il se dise “non militant”. “En vérité, je n’défends pas la vérité, j’défends mes opinions” explique le rappeur qui parle aussi du silence des médias sur ce qu’il se passe en Afrique. De la guerre civile en Côte d’Ivoire en passant par le génocide au Rwanda, le conflit au Mali etc. Sur ce morceau Youssoupha se lâche et son texte percute. (“Je ne suis pas issu de l’immigration, moi j’suis issu de la colonisation”, “On m’a dit la France tu l’aimes ou tu la quittes. Je répondrai à cette offense quand vous nous rendrez l’Afrique”).

La fin de l’album se compose de trois titres. “Smile”, où l’on retrouve le père de famille heureux d’apercevoir enfin le bout du tunnel. “Négritude” qui évoque ensuite les raisons pour lesquelles l’album portant sur ce concept arrive seulement maintenant et enfin, “Mourir mille fois”. Le titre parle de lui-même. Pour clôturer l’album, Youssoupha adresse un dernier message à ses proches décédés, comme un dernier soupir.

A l’image du rappeur américain Kendrick Lamar, qui dans “The Blacker The Blerry” parle de la vision livrée par le gouvernement des noirs américains, Youssoupha fait du concept de “négritude” son fer de lance. Youssoupha parle de sa négritude avec fierté et donne son opinion sans pour autant la façonner. Sans aucune pincette, le rappeur évoque les maux de l’Afrique tourmentée par un héritage colonial et retransmet le discours négatif diffusé à la télévision sur les Noirs.

Les influences africaines se ressentent donc tout au long de l’album. Percussions, instruments à vents… Chaque son vient appuyer un de ses propos. Avec NGRTD, Youssoupha transmet un message positif, balance des choses vraies et joue cartes sur table. Ses sentiments sont forts. Sa mère, son père, son fils, ses amis, son entourage, ses origines, il aborde tous les pans les plus intimes de sa vie. Son album donne l’impression que rapper est un exutoire. En ayant choisi de reprendre ce concept, Youssoupha livre un disque humain et humaniste que l’on a envie d’écouter en boucle. NGRTD touche et redonne espoir. A découvrir sans plus attendre.

Youssoupha, NGRTD, Bomaye Musik / Believe Recordings, 2015, 64 min.

Visuel : © Fifou

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Elodie Schwartz

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