Cinema
[Berlinale, Compétition] « 45 years » : le temps de l’amour pour Charlotte Rampling

[Berlinale, Compétition] « 45 years » : le temps de l’amour pour Charlotte Rampling

07 February 2015 | PAR Olivia Leboyer

L’argument paraît un peu alambiqué : un couple s’apprête à fêter ses 45 ans de mariage lorsque le mari, subitement, reçoit une lettre lui apprenant que le corps de son ex-fiancée, morte en montagne cinquant ans auparavant, vient d’être retrouvé. Et pourtant, l’alchimie fonctionne dans ce petit film tout en pudeur et simplicité.

45 years

[rating=4]

Comment mesurer l’amour que l’on se porte ? Après 45 ans d’un mariage harmonieux, Kate (Charlotte Rampling) est obligée de remettre en question cette belle durée. Avant elle, son mari Geoff (Tom Courtenay) avait dans sa vie une autre femme, Katya, disparue en montagne. La découverte inopinée du corps l’affecte, révélant au sein du couple de soudaines fêlures. Ce traumatisme n’avait jamais été évoqué frontalement entre Geoff et Kate, à peine quelques mots rapides, il y a de cela quarante cinq ans. Aujourd’hui, Kate est forcée de se demander si elle n’a pas joué un rôle de remplaçante. D’un coup, cette mystérieuse Katya, morte à vingt sept ans, prend toute la place.

On sait depuis le Rebecca de Daphné du Maurier qu’il n’y a pas pire rivale qu’une morte pour une femme jalouse. Voir Charlotte Rampling, impeccable en épouse middle class fatiguée, se ronger maladivement en se comparant à un cadavre, a quelque chose de saisissant. Rien d’appuyé, ou de mélodramatique, mais un enchaînement de scènes quotidiennes terriblement justes, qui accentuent progressivement l’impression de malaise. Dans cette vie vécue à deux, quelle part le fantôme de Katya a-t-elle occupée ? Reléguées au grenier, les photos jaunies et les vieilles diapos distillent leur poison. Evidemment, il est plus facile de regretter une absente, figée à jamais dans sa jeunesse, que de vivre au jour le jour l’usure du temps qui passe. Surtout pour un couple qui n’a pas eu d’enfant. Fragilisée, démunie, Kate se raccroche à de petits gestes, à un regard, tout en maintenant cette fête d’anniversaire, dont l’organisation devient aussi dérisoire qu’indispensable. En célébrant les dates, les souvenirs, on accomplit certes un rituel social mais aussi un acte précieux.

Quelques notes de piano pour exprimer son désarroi, une peur des photographies qui arrêtent le temps à un instant trop précis, des serments qui, d’un coup, reprennent tout leur sens, le film est jonché de petits moments magiques, tout simples. Charlotte Rampling fait passer l’émotion, furtivement, avec une vraie justesse. En septuagénaire encore charmeur, Tom Courtenay est parfait. Kate et Geoff savent à quel point les mots peuvent blesser, mais le silence ne suffit plus à colmater les anciennes douleurs. Avec précaution, le couple s’interroge, en douceur ou âprement, sur ce lien ténu qui les relie imparfaitement depuis tant d’années. Du temps vécu ou du temps regretté, lequel a existé pour de vrai ? Ces flottements, ce vertige devant le temps qui a passé avec ou sans nous, nous émeuvent fortement.

45 years, de Andrew Haigh, Angleterre, 93 minutes, avec Charlotte Rampling, Tom Courtenay, Geraldine James, Dolly Wells, David Sibley, Sam Alexander. Berlinale 2015, en compétition.

visuels: photos officielles du film.

“Nobody wants the night” le film d’ouverture de la Berlinale nous emmène dans le grand Nord
Berlinale, ouverture et deuxième jour : des stars, des mélos et des femmes fortes
Avatar photo
Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration