Arts
IRVING PENN AU GRAND PALAIS, CHAPEAU L’ARTISTE

IRVING PENN AU GRAND PALAIS, CHAPEAU L’ARTISTE

19 September 2017 | PAR Marie Crouzet

Il y a cent ans à Plainfield, dans le New Jersey, naissait Irving Penn, l’un des plus grand photographe de mode des temps modernes. Décédé en 2009, le Grand Palais lui consacre sa première rétrospective à titre posthume. Une immense exposition de plus de 235 tirages qui s’étale dans une dizaine de salles. Artiste, portraitiste, photographe mais surtout grand humaniste, son travail est à découvrir jusqu’au 29 janvier 2017.

Le portrait ou la vie

truman-capote-4-of-4-1495562477Chez Irving Penn, plus loin que le sens de la composition, il y a celui de l’humain. En témoigne dès la deuxième salle de l’exposition, les sublimes portraits en noir et blanc réalisés entre 1947 et 1948. Pour cette série, commandés par le directeur artistique Alexander Liberman pour Vogue, Penn se voit imposer une liste de personnalités mais a le champs libre pour les compositions. En résulte des décors sommaires, des jeux avec les angles des pièces, des disproportions corporelles comme ce sublime portrait de Peter Ustinov qui, avec son bras gauche contorsionné en arrière, ressemble à une créature étrange et mélancolique ou encore ce portrait recroquevillé de Truman Capote, cigarette à la main. Ce qui frappe dans la photographie de Penn, c’est les visages de ces hommes et femmes, qui semblent toujours être saisis dans un instant de fragilité. Plus loin, dans la salle des « Petits Métiers » où sont rassemblés les travaux du photographe de 1950 à 1951, on découvre des portraits en pied d’artisans et de boutiquier londoniens. Là aussi, que ce soit le vendeur de peaux de chamois, le gardien de parking ou le marchand de concombre, la fragilité l’emporte sur ses compositions toujours parfaites. Le regard vulnérable, la sensation de mise à nu, les failles sur les visages s’imposent face à nous.

Le studio comme refuge

largerLorsqu’il arrive à Cuzco en novembre 1948, il trouve rapidement un atelier de photographe à louer. Commence alors trois jours ininterrompus de prises de vue. Plus d’une centaine d’habitants de la ville et des villages voisins défilent devant l’objectif du photographe. Il en tirera certaines de ces images les plus célèbres, notamment sa série sur les enfants, dont celle d’un garçon et d’une fille adossés à une table, le menton en avant et l’air de défi pour quiconque oserait s’approcher trop près. Le studio, élément fondamental du travail de Penn, deviendra sa marque de fabrique. Il en construit même un portatif, une sorte de tente qu’il emmène partout dans ces déplacements. C’est ainsi qu’en Inde, il réalise une série de portraits « en studio », shootés en réalité en extérieur. Pour lui, le confinement donne lieu à des rapports plus intimes et lui permet de mieux saisir l’essence de ses sujets. « Le studio est devenu, pour chacun d’entre nous, un sorte de zone neutre » dit-il. Mais c’est aussi une manière pour lui de prendre le pouvoir. En témoignent les deux compositions de trois personnages, les filles de Dahomey et les hommes de boue Asaro, où la construction laisse entrevoir très clairement le rôle de chef d’orchestre que prend Irving Penn.

Du photographe de mode à l’artiste minimaliste

IPF cig037, 3/22/12, 7:06 AM, 16C, 5552x6656 (160+528), 100%, Custom, 1/30 s, R73.4, G49.3, B62.2En contradiction parfaite avec les lignes constructivistes des photos de mode que l’on retrouve dans la salle « En Vogue », on découvre les séries de nus qu’Irving Penn a prise entre 1949 et 1950. Des femmes rondes, dont on ne voit jamais le visage ou les pieds, s’enchainent sur les murs. Valse lente des corps charnus qui sous l’objectif ressemblent à des statues de féminité et de sensualité. Proche de la chaleur des bains turcs d’Ingres, on sort ici du visage pour ne laisser que l’expression du corps. Penn pousse plus loin sa sortie du portrait en immortalisant plus tard les objets. Dans l’une des dernières salles, on tombe nez à nez avec sa célèbre série des cigarettes. Des gros plans sur des mégots que le photographe a collecté dans la rue et avec lesquelles il construit de véritables tableaux contemporains. Chef d’œuvres aujourd’hui reconnus internationalement, cette série a mit du temps à s’imposer dans les esprits comme fondamentale. Exposés pour la première fois au MoMA en 1975, ils sont jugés répugnants, immondes, indignes de la photographie. Aujourd’hui réunis dans une seule pièce de l’exposition, leur puissance artistique apparaît immédiatement à celui qui s’y aventure. Sublimes natures mortes du monde moderne, « la cigarette indique le caractère, elle révèle la nervosité. Son choix en dit long sur le goût d’une personne » selon les dires d’Irving Penn. Et l’on revient alors aux fondamentaux de l’artiste, l’humain, avant tout, férocement humain.

Crédit Images:

  • Image à la une:
    Irving Penn, Black and White Fashion with Handbag (Jean Pachette), New York, 1950, épreuve gélatino-argentique, 2003 – 40,6 x 39,1 cm – The Metropolitan Museum of Art, NY, Promised Gift of the Irving Penn Foundation © The Irving Penn Foundation
  • Image 2:
    Irving Penn, Truman Capote, New York, 1948, épreuve gélatino-argentique, 25,7 x 21 cm – The Metropolitan Museum of Art, NY, Promised Gift of the Irving Penn Foundation © The Irving Penn Foundation
  • Image 3:
    Irving Penn, Cuzco Children, 1948, épreuve au platine-palladium, 1968 – 49,5 x 50,5 cm – The Metropolitan Museum of Art, NY, Promised Gift of the Irving Penn Foundation © Condé Nast
  • Image 4:
    Irving Penn, Cigarette No. 37, New York, 1972, épreuve au platine-palladium, 1972 – 59,7 x 44,1 cm – The Metropolitan Museum of Art, NY, Promised Gift of the Irving Penn Foundation © The Irving Penn Foundation
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Marie Crouzet

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