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Rencontres d’Arles 2022 : capter les mouvements du Monde

Rencontres d’Arles 2022 : capter les mouvements du Monde

12 July 2022 | PAR David Hanau

C’est dans un climat politique intense que certains décrivent comme « le retour de l’Histoire », que les Rencontres de la Photographie d’Arles ont ouvert leurs portes la semaine dernière, sous le thème « VISIBLE OU INVISIBLE ». Une invitation non-dissimulée à replacer la photographie comme le médium du témoignage, celui qui fait passer du négatif au positif, grâce au révélateur. Un superpouvoir que les artistes de cette 53e édition ont su exploiter pour nous aider à mieux cerner les mutations que nous traversons.

Avec plus de 25 expositions qui se déclinent sur presque autant de lieux à Arles et dans les alentours, Les Rencontres d’Arles restent un événement incontournable du parcours estival. Cette 53e édition vous permettra de garder un regard vif et attentif, au contact de ce tout ce qui se joue dans notre époque.

Power women

La première ondulation qui semble avoir mobilisé cette année l’équipe des Rencontres, emmenée par Christoph Wiesner, est la question du féminin. Une démarche qui fait écho aux enjeux de l’ère post me-too, mais pas seulement…

Ainsi, à l’église Saint-Anne, la magnifique rétrospective sur le travail trop méconnu de Babette Mangolte, Capter le mouvement dans l’espace, vous replongera dans l’histoire contemporaine de la danse, autour de créations phares portées par les plus grands chorégraphes nord-américains du XXe Siècle, comme Lucinda Childs, Trisha Brown, Robert Morris, Richard Foreman…

Une parfaite mise en appétit pour pouvoir ensuite se lancer pleinement dans l’exposition « Une avant-garde féministe » à l’atelier de Mécanique Générale (Parc des Ateliers, Fondation Luma). Une relecture méticuleuse, peut-être un tantinet scolaire, des mouvements féministes des années 70, à travers la collection Verbund de Vienne. 5 thématiques pour montrer la diversité des féminismes de l’époque, dans lesquels semblent aujourd’hui puiser tous les mouvements contemporains.

On en profitera pour découvrir dans ce même espace le beau travail de collage de Frida Orupabo, A quelle vitesse chanterons-nous.

En retournant au centre-ville, mettez le cap sur l’expo Bettina Grossman à la Salle Henri-Comte. Figure du Chelsea Hotel de New-York où elle produisit, isolée du monde, c’est sa rencontre avec Yto Barrada qui lui permit de retrouver la lumière. Un magnifique hommage à ce travail visuel où la géométrie et la répétition ont posé les jalons d’une avant-garde très singulière.

Et si votre soif de (re)découverte n’est pas apaisée, dirigez-vous vers l’espace Van Gogh pour partir à la rencontre d’une grande figure américaine de la photographie : Lee Miller – Photographe Professionnelle. Entre 1932 et 1945, elle fut tour à tour business woman, photographe de mode et de publicité, et photoreporter de guerre, dont les images des camps de concentration de Dachau et Buchenwald firent le tour du monde.

Traverser les âges

Restez donc un peu plus longuement à l’espace Van Gogh pour explorer le travail de Romain Urhausen, En son temps. Une monographie réjouissante, drôle et très diverse, où le quotidien côtoie le paysage, le nu, l’homme au travail, dans une démarche plasticienne qui repose sur une grammaire formelle unique et encore actuelle.

Si l’envie de découverte continue de vous habiter, vous pourrez alors vous diriger vers l’église des frères prêcheurs à la rencontre de l’édition 2022 du Prix Découverte Louis Roederer. Une étape toujours rafraichissante. Outre le lauréat de cette année, Rahim Fortune, et la mention spéciale du Jury, Olga Grotova, attardez-vous donc sur les natures mortes de Maya Inès Touam, ou encore sur la vidéo de Celeste Leeuwenburg…

Mais la grande figure historique qui marquera ce cru 2022 des Rencontres est sans conteste le photographe ghanéen James Barnor. L’exposition exceptionnelle Stories. Le portfolio dans la Tour de la Fondation LUMA met un coup de projecteur indispensable sur cette fabuleuse épopée photographique, entre Accra, Londres et Accra. Une incroyable carrière, dont l’indélébile trace inspire encore aujourd’hui de nombreux artistes.

Se mettre au vert

La très actuelle question environnementale n’a pas été éludée de la programmation 2022, loin de là. Elle y occupe une place prépondérante.

C’est ce que vous constaterez en vous rendant à l’espace Croisière, où vous attendent pas moins de 4 expositions qui y font écho. A commencer par Si un arbre tombe dans une forêt, qui rassemble, de façon peu lisible, divers travaux artistiques qui interrogent l’espace et l’environnement.
Une mise en jambe pour se plonger ensuite dans les magnifiques expos personnelles de Léa Habourdin, Images forêts des mondes en extension et de Klavdu Sluban, Sneg.
Attardez-vous ensuite à découvrir la démarche de Julien Lombardi, La terre où est né le soleil, une exploration de la vallée de Wirikuta au centre du Mexique, où les indiens Huichols viennent chaque année en pèlerinage pour honorer le soleil et le feu.

En sortant de l’espace croisière, rejoignez le centre-ville en traversant le jardin d’été, où vous attend la série de Bruno Serralongue, Les gardiens de l’eau. Une démarche documentaire auprès des indiens de la réserve de Standing Rock dans le Dakota du Nord (USA), qui ont dressé un camp pour protéger le fleuve Missouri.

Passez ensuite par l’église des trinitaires pour vous immerger dans le travail de Noémie Goudal, Phoenix : une mise en scène complexe et originale, inspirée par la géologie et la paléoclimatologie.

Et pour finir cette exploration environnementale en beauté, rendez-vous à l’espace Monoprix où vous attendent 2 très belles expositions.
La monographie de Lukas Hoffmann, Evergreen, présente notamment d’incroyables polyptiques qui remettent le paysage en équation dans une interprétation plastique impressionnante et rigoureuse.
Dans un second espace, prenez de l’altitude à l’exposition Chants du ciel – La photographie, le nuage et le cloud, où les questions de l’environnement, du réseau, de la data, de l’IA s’entremêlent pour créer un très riche dialogue artistique autour des technologies d’aujourd’hui et de demain.

Inclusion numérique

Pour continuer sur cette lancée technologique, rendez-vous au couvent Saint-Césaire, pour explorer l’expo de Fisheye Immersive, Le voile interposé. Une interrogation assez littérale sur les frontières du réel et du virtuel, où vous pourrez croiser les travaux d’Obvious, de Pussykrew, ou encore de Joan Fontcuberta et Pilar Rosado.

Et pour boucler cette boucle numérique, vous pouvez vous rendre au cloitre Saint-Trophime pour visiter l’expo d’Arash Hanaei & Morad Montazami, Hantologie Suburbaine. Une interrogation sur les architectures utopiques des années 70 confrontées aux questions du Métavers et de la réalité augmentée.

Embrasser des mondes

Après cette escapade dans le cloud, il est sans doute préférable de redescendre sur Terre. C’est exactement ce qui vous attend lorsque vous entrerez dans la foulée au Palais de l’Archevêché où se trouve l’expo Un monde à Guérir – 160 ans de photographie à travers les collections de la Croix-Rouge. Une sacrée somme, qui témoigne de ces incroyables aventures humaines qui font le quotidien de cette grande ONG.

Pour retrouver quelques couleurs, vous pouvez rejoindre, non loin de là, la Fondation Manuel Rivera-Ortiz où l’expo Dress Code réunit une quarantaine d’artistes autour de la question des identités, pour former une chatoyante sélection de regards et de propositions.

Toujours au cœur de ville, c’est à la galerie Photosynthèses que vous pourrez découvrir la très amusante démarche de Barbara Iweins, Katalog, qui s’est décidée à classer et photographier l’ensemble des objets de son appartement au bout d’un 11e déménagement… Réjouissant !

Mais le clou de ce petit tour des mondes vous attend dans les alentours d’Arles, à l’Abbaye de Montmajour, avec l’expo Mitch Epstein – En Inde. 1978-1989. Une rétrospective pour découvrir les multiples reflets de ce pays-continent, que cette grande figure de la photo a exploré de l’intérieur avec passion, au cours de ses 8 voyages.

Une fondation renouvelée et un nouveau musée

Retourner à Arles en 2022, c’est aussi constater combien la ville camarguaise s’affirme davantage chaque année comme un pôle culturel de premier plan, où les initiatives privées se multiplient pour y jouer un rôle majeur.

A commencer bien sûr par la fondation LUMA, qui fêtait il y a peu sa première année d’ouverture. Cet été, la fondation propose un programme renouvelé et éclectique, qui ne répond pourtant pas encore totalement à la question posée sur la réelle ambition artistique de ce gigantesque projet. En témoigne The Impermanent Display II, qui montre de façon disparate des pièces de la collection Maja Hoffmann dans une salle démesurée mais aussi un peu trop démembrée.
On en profitera pour admirer quelques interventions majeures sur le bâtiment, comme le fameux double toboggan Isometric Slide de Carsten Höller en parfait fonctionnement (à faire), l’œuvre Take Your Time d’Olafur Eliasson, ou la fresque d’Etel Adnan, Dans la forêt (auditorium).
Mais cet été, outre l’expo consacrée à James Barnor dont le portfolio rejoint les archives vivantes de la fondation LUMA (voir plus haut), l’expo à ne pas manquer est celle de l’artiste afro-américain Arthur Jafa, Live Evil, qui occupe pas moins de 2 ateliers : La mécanique générale et la Grande Halle. Une présentation d’œuvres majeures et de nouvelles pièces spécialement produites à l’occasion de cette magnifique exposition.
Avant de repartir, ne manquez pas de vous rendre au 3e sous-sol de la Tour pour découvrir l’expo intrigante de Julien Creuzet, Orphée ruminait des mots à l’étouffée, sous la pluie fine du brouillard ardent, anyway les serpents sont-ils sourds et muets, oubli enfoui au fin fond de l’insomnie, tout un programme qui révèle un univers singulier hanté par des esprits qui semblent avoir élu domicile dans ce sous-sol.
Vous pourrez également vous attarder sur 2 belles œuvres vidéo présentées dans la Tour : Everything and more de Rachel Rose, et Nightlife de Cyprien Gaillard.

En retournant en ville, et pour terminer en grande beauté cette très riche escapade camarguaise, ne manquez pas d’aller reposer votre regard en visitant le tout nouveau Musée Lee Ufan. Comme l’artiste l’écrivit lui-même : « Le propre de l’œuvre d’art est d’ouvrir un instant nous faisant sentir la respiration de l’infini ». Un pari que l’artiste coréen a parfaitement su tenir dans ce sublime écrin arlésien.

Alors, avec un tel programme, cet été, il y a photo ! Ne manquez pas de vous rendre à Arles pendant vos vacances ou à la rentrée…

visuels (c) DH

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David Hanau

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