Politique culturelle
[INTERVIEW] Fin du Rock dans tous ses états : “la question du déficit n’explique pas tout” selon Thierry Lavallé

[INTERVIEW] Fin du Rock dans tous ses états : “la question du déficit n’explique pas tout” selon Thierry Lavallé

28 December 2016 | PAR Léa Sanchez

Thierry Lavallé dirige l’association l’Abordage, organisatrice du festival normand « le Rock dans tous ses états ». Comme nous l’expliquions la semaine dernière, celle-ci doit déposer la clé sous la porte à cause de ses problèmes financiers. En arrière-plan : les tensions avec l’équipe municipale Les Républicains de la ville d’Evreux, où avait lieu le festival depuis trente-trois. Interview.

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Pourquoi s’arrête le Rock dans tous ses états, festival qu’organisait votre association l’Abordage ?

Le festival s’arrête parce que notre association va être mise en liquidation. En fait, l’Abordage accuse un déficit depuis sa création en 2008. Dès la première édition, on a eu un déficit de 130 000 euros. Au bout de huit ans d’exercice, on se retrouve avec un déficit estimé entre 240 000 et 260 000 euros. Mais la question du déficit n’explique pas tout, puisqu’on aurait très bien pu imaginer un plan d’apurement de la dette, c’est ce qui était prévu au mois d’octobre avec les financeurs. Sauf que les trois principaux financeurs – le conseil municipal d’Evreux, le conseil régional et le conseil départemental de l’Eure – ont décidé d’arrêter de soutenir l’association l’Abordage. On se retrouve avec une dette fournisseurs qui nous contraint à nous déclarer en cessation de paiement. Voilà pourquoi le festival s’arrête, parce que l’association ne peut plus suivre.

D’où vient ce revirement de vos financeurs ?

Il faudrait poser la question à la mairie. On m’explique que ce revirement, c’est uniquement parce que l’association est trop déficitaire. Mais ça ne posait pas de problème en octobre. Et puis on peut aussi expliquer notre déficit par une co-responsabilité de la mairie. En 2008, nous avions un directeur mis à disposition par la ville d’Evreux qui a eu un peu la folie des grandeurs. En 2016, c’est eux qui nous ont poussé à refaire un festival qui ait de la gueule, avec des têtes d’affiches. L’idée était de remonter en puissance sur quelques années pour retrouver un taux de remplissage de 25 000 spectateurs. L’équipe a été très claire avec la Ville en disant attention, si on fait ça cette année, on n’est pas sûrs d’avoir le nombre de spectateurs attendus et nous risquons un déficit. La Ville a dit OK, on y va, on assumera après. Et finalement, ils n’assument plus. Alors le revirement, je l’explique pas. On nous parle juste de finances alors que ça ne posait pas problème avant.

Vous êtes en désaccord avec la mairie sur le montant du déficit de l’Abordage…

Le maire (Guy Lefrand, les Républicains, NDLR) a fait un communiqué la semaine dernière disant qu’on était à 580 000 euros de déficit. Mais les chiffres, c’est nous qui les avons. Lui n’en a qu’une photographie à un moment donné, il n’a pas les chiffres complets. Il nous traite de menteurs puisqu’à un moment il a dit que l’association attend des rentrées fictives. Je ne sais pas ce qu’il entend par là : nous avons des reliquats de subventions de la région, on a la subvention du CNV qui doit être finalisée, on va récupérer de la TVA… Ce n’est pas fictif du tout, il y a bien des rentrées d’argent qui sont prévues et qui atténuent la dette fournisseur qui est en gros à 340 000 – 360 000 euros. Donc on se retrouve avec un déficit compris entre 240 000 et 260 000 euros. C’est des chiffres qui sont avancés par ma commissaire aux comptes. Il n’y a aucune raison de mentir, on essaie d’être dans la transparence la plus totale mais visiblement ça ne paye pas.

Que pensez-vous de l’annonce du maire, qui compte recréer un nouveau festival ? Il a affirmé “il y aura bien un festival en 2017” dans un communiqué publié la semaine dernière.

On a une reprise en main, une espèce d’OPA de la ville sur le festival. A mon avis, ils veulent faire un festival à l’image de tous les festivals de France : quelque chose de formaté, avec des têtes d’affiches, un festival de producteurs, sans âme et sans particularité. La particularité de notre festival, c’était d’être un festival de défricheurs, un festival de découvreurs. Les gens ne venaient pas pour voir toutes les têtes d’affiches qu’on pouvait voir partout en France mais pour découvrir les futures têtes d’affiche puisqu’on a quand même eu des grosses surprises comme Muse ou Gossip pendant toute cette aventure de 33 ans. Car l’association l’Abordage avait huit ans, mais le festival en avait trente-trois.

Le maire de la ville Guy Lefrand a également dit, dans le même communiqué, que “le Festival existait avant l’association l’Abordage et existera après”, en ajoutant que “personne n’a le droit de l’accaparer”…

Jusqu’à preuve du contraire, on ne se l’est pas accaparé, on l’a créé. Le festival d’Evreux a d’abord été porté par la MJC, ensuite par l’Abordage, c’était les mêmes équipes, il y a une continuité dans le travail. C’est comme s’il venait dire à une maison de quartier, personne n’a le droit de s’accaparer les activités de la maison de quartier. Cet argument, il ne tient pas, il est même injurieux pour les responsables associatifs. C’est lui qui s’accapare des choses. On va voir ce que ça va donner le rock d’Evreux, puisque visiblement c’est comme ça que le nouveau festival va s’appeler. Il faudra voir avec les conseillers en communication puisque le rock d’Evreux ça ne sonne pas bien, ça m’étonnerait que des gens viennent de partout en France pour le rock d’Evreux, ça ne parle pas dans la tête des gens. Le Rock dans tous ses états, ça leur parlait. Et quand on parlait d’Evreux dans la presse nationale, souvent c’était parce que le festival était là et qu’il amenait des choses un peu audacieuses.

En 2017, si un festival a lieu à Evreux, il sera donc probablement porté par une autre association. Qu’en pensez-vous ?

Au début, on nous avait proposé que l’Abordage coproduise le festival, la ville ayant besoin d’une association car elle ne peut pas recruter de bénévoles. Donc le festival ne peut pas être porté par une autre association, mais une autre association va être partenaire pour fournir les bénévoles, c’est une association “faire-valoir”. Après, je ne connais pas le détail de l’organisation. Mais je peux vous dire que sur l’ensemble des bénévoles et chefs d’équipe que j’ai croisés ces derniers jours, il n’y en a aucun qui veut y retourner, car ce ne sera plus ce qu’on a créé. Pour les gens d’Evreux, je souhaite qu’il y ait quelque chose, mais nous trouvons qu’il y a eu un grand manque de respect des dirigeants associatifs et des bénévoles.

Selon vous, est-il possible de remonter un festival pour l’année prochaine ?

Je ne vois pas comment on peut faire un festival en six mois. La plupart des festivals de France ont déjà une programmation pratiquement bouclée, du matériel qui est réservé… S’ils veulent vraiment des grosses têtes d’affiche, elles vont coûter plus cher. Là je liquide une association, je ne suis pas sur la création d’un festival donc je ne sais pas comment le prochain va se créer, avec quel réseau, quel matériel, quel personnel. Toutes nos équipes qui étaient sur le festival l’an passé ne seront plus là. Il faut mobiliser des gens, des associations partenaires… En plus, avec la période des fêtes, il va y avoir beaucoup de parlotte mais peu d’action. Je suis très circonspect par rapport à la capacité à créer quelque chose. Après, avec de l’argent, on peut tout faire. Mais on verra ce qui coûte le plus cher, si c’était sauver l’Abordage ou recréer un festival.

Une pétition s’est créée pour soutenir l’Abordage. Pensez-vous qu’elle puisse changer les choses ?

Je crois qu’une pétition ne changera rien à la décision du maire qui est définitive. Même si le maire disait “j’ai fait une bêtise”, il est déjà trop tard pour produire un festival. C’était encore possible début décembre, tout le monde était dans les startings block, on aurait pu produire quelque chose. Aujourd’hui ce n’est pas possible. Pour nous c’est mort, en tout cas pour cette année. Après je sais qu’il y a des grands militants parmi les gens qui portaient le festival, et peut-être qu’on pourrait se donner le temps de reconstruire quelque chose. Mais après on n’en a pas encore discuté. Il y a suffisamment d’énergie sur le territoire pour avoir envie de refaire quelque chose, peut-être des choses beaucoup moins impressionnantes mais d’agir pour continuer à faire découvrir des groupes, continuer à accompagner la scène locale… Le Festival, c’était vraiment le point d’orgue dans le travail de toute une année pour l’Abordage mais il y avait aussi la programmation à l’année, l’action culturelle.

Plusieurs autres festivals, comme celui d’Ile-de-France, devraient également disparaître cette année…

Le problème c’est que la culture c’est souvent considéré comme une variable d’ajustement, comme l’éducation. Le discours de notre maire, c’est que les Ebroïciens veulent de la sécurité. Certes ! Je suis OK pour la sécurité physique, mais je veux aussi une sécurité morale et intellectuelle. Aujourd’hui je ne sais pas où ça va, mais ça ne va pas dans le sens de l’émancipation, c’est bien ce mot-là qui est important. La culture est considérée comme quelque chose en plus, et pas comme quelque chose de fondateur et de créateur de personnalité.

Visuel : capture d’écran du site Internet du festival.

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Léa Sanchez

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