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[Interview] Rencontre avec Marc Monnet, directeur artistique du festival Printemps des Arts

[Interview] Rencontre avec Marc Monnet, directeur artistique du festival Printemps des Arts

25 March 2016 | PAR Yaël Hirsch

A l’occasion du festival Printemps des Arts de Monte-Carlo, qui se tient du 19 mars au 10 avril 2016, un vaste choix de concerts, d’expositions, de tables rondes viennent faire voyager dans la musique la principauté de Monaco. Juste avant que ne debute ce printemps placé sous le signe de MaGlee (lire notre live-report) nous avons  rencontre l’atypique et anticonformiste compositeur Marc Monnet. Directeur artistique du festival depuis 2002, il s’emploie à faire du Printemps des Arts une rencontre musicale toujours plus riche, toujours plus vaste et novatrice, de la programmation à l’organisation. Rencontre.

Pour le festival, vous dressez un vaste portrait musical de Mahler, largement enrichi par des musiques composées par sa femme, Alma. Depuis quand choisissez vous ce type de concert, et pourquoi?

Je fais des portraits de compositeurs depuis que je suis là, car je pense qu’il faut changer toutes les formes de concert, bien que parfois l’on reste sur des formes classiques. J’essaie des formes différentes, tout en vsriant sur la monographie – l’intégrale étant trop facile-. Ce qui m’intéresse, c’est plonger le public dans l’univers d’un compositeur, cette année, essentiellement celui de Mahler. D’où la présence des morceaux composés par Alma, qui me semblent absolument indissociable de l’oeuvre de Malher : si leur relation est difficile à comprendre de nos jours (il lui a d’ailleurs totalement interdit de composer), on ne peut penser l’un sans l’autre, et les créations d’Alma sont centrales pour comprendre et ressentir l’oeuvre de Mahler.

Trouver de nouvelles formes de concert, qu’est-ce que cela signifie ? 

Sur la côte d’Azur, l’offre culturelle est assez limitée :  il y a l’orchestre de Monaco et l’orchestre de Nice, qui, s’ils sont tous les deux très bons, ont une programmation  assez semblable, articulée sur le trio «  ouverture, concerto, symphonie ». Je veux varier l’offre et le format du concert, les obligations par habitude ne m’intéressent pas. C’est l’intérêt des portraits missions. Dans le Festival, nous allons avoir deux récitals de grands pianistes dans la même soirée, Till Fellner et Aracadi Volodos ont accepté de jouer l’un et l’autre, et entendre ainsi dans une même soirée deux pianistes qui n’ont rien à voir dans leur interprétation comme dans leur physique, d’ailleurs, cela ne se fait habituellement pas, c’est même totalement inédit.

Vous êtes vous mêmes compositeur : est-ce que cela a un impact sur votre façon d’élaborer une programmation ?

Effectivement, je ne peux me diviser, je fais mes choix avec l’oreille de celui qui écoute, c’est aussi une vision de compositeur. Une grand majorité d’organisateurs ne lisent même pas la musique, et j’imagine qu’avoir des compositeurs à la tête d’une institution donne un nouveau souffle aux programmations actuelles. : Boulez par exemple était un homme d’institution qui a lancé des initiatives de compositeur. Les exigences au niveau de la qualité du son et de la salle ne sont également pas les mêmes.

Le festival de Monte Carlo est un «  inclassable » dont la programmation est éclectique : pouvez vous nous en dire un petit peu plus sur vos choix, de la musique bretonne à celle du roi soleil? Y-a-t-il un lien, une intégration des thèmes dans un fil conducteur ?

La musique écrite commence au Xème siècle, jusqu’au XXIème : nous avons à notre disposition un répertoire colossal et cela serait un gâchis immense de ne pas à en profiter : si on ne se limite qu’à la musique romantique, comme le font la plupart des orchestres, ce n’est pas intéressant. Je veux plonger les gens dans différents univers sonores : ainsi, «  La musique au temps du roi soleil », c’est celle d’une époque, et non d’un roi : il y a ainsi de la musique espagnole, par exemple. Le public doit essayer de ressentir la musique répandue à cette époque.  Pour la Bretagne, il n’y a pas forcément de fils conducteur avec Mahler : ici on habitue le public à entendre de la musique extra-européenne, indienne, cambodgienne… Alors je me suis dit «  pourquoi ne pas s’intéresser aux différents répertoires musicaux au sein de la France ? » La musique bretonne n’a jamais été jouée ici, or, elle est très vivante et riche. Il faut habituer les gens à différents univers sonores.

A Monte-Carlo, qui est votre public ?

Le public est une abstraction : on ne peut le qualifier, le saisir ou l’identifier, chaque soir il change. On sait néanmoins qu’il y a une majorité de public régional, ainsi que des étrangers grâce à des tours opérators : Italie, Angleterre, Allemagne et Russie. L’ouverture au public se fait également avec l’échelle de prix, qui commence à 17 euros et se veut assez basse, ainsi que gratuite pour les moins de 13 ans. Cependant, c’est une région culturellement difficile: nous tâchons de développer les relations avec les jeunes. Jusqu’à 14ans, les programmes de découvertes sont efficaces, mais la tranche d’âge 15-19 ans est bien plus difficile à convaincre. Des conférences de presse avec Sciences Po à Menton aident cependant à créer des nouveaux publics, de nouveaux liens avec la région. On essaie de plus de vivre notre temps, d’associer ces jeunes à notre univers en se penchant sur la musique contemporaine, qui étonne et fascine bien plus ces tranches d’âge.

Les concerts s’accompagnent de séries de conférence, sont-elles adressées à tout le monde ou à un cercle restreint de spécialistes ?

Nos «  tables rondes » sont encore des expérimentations : il s’agit de rencontre à propos des concerts avec des musicologues qui fait le lien entre le public et la musique. L’exposition «  Mahler », veut elle aider les auditeurs à entrer dans certain univers avec lequel ils ne sont pas familiarisés. Cela est également vrai avec le film avant le concert, qui donne bien une idée de qui était Mahler: faire entrer le tout public dans la musique, faire ressentir, nous nous y attachons grâce à plusieurs formes qui se répondent: concerts, films, expositions.

Que pouvez vous nous dire des liens du festival avec la région ? Est-ce un soutien conséquent apporté à votre travail ?

Je dois en effet beaucoup à une femme en particulier: la princesse Caroline, une femme de culture dont les apports à l’art sont nombreux par un travail sérieux et rigoureux. J’ai également la chance d’avoir une totale liberté quant à la direction de ce festival : il y a deux conseils d’administrations, des comités, mais ils n’interviennent que peu sur mes choix artistiques.

 Ce festiva instaure le «concert à emporter » : faire venir des musiciens chez soi. Comment fonctionne cette proposition ?

C’est un concept qui fonctionne : on vous apporte les musiciens et le programme, et vous achetez le nombre de places souhaité. Dans des espaces restreints que sont les salons, par exemple, la promiscuité est très forte avec la musique. Il s’en suit souvent une rencontre qui satisfait tout le monde, auditeurs et musiciens. C’est un concept très novateur et enrichissant. Parallèlement à cela, nous tâchons de multiplier les genres de salle en fonction de ce qui s’adapte le mieux à la musique: parfois certains concerts se tiennent dans des églises.

visuel : Portrait officiel (c) Olivier Roller

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]
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