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Mahler superstar du week-end d’ouverture du Printemps des arts de Monte-Carlo (19 & 20 mars 2016)

Mahler superstar du week-end d’ouverture du Printemps des arts de Monte-Carlo (19 & 20 mars 2016)

21 March 2016 | PAR Yaël Hirsch

Ce samedi 19 mars 2016, le Printemps des Arts de Monte-Carlo s’est ouvert sous les auspices de 3 muses (les beaux arts, le cinéma et évidemment la musique) pour dresser le portrait de héros de cette nouvelle édition : le compositeur et chef d’orchestre Gustav Mahler. Dimanche 20 mars, on avait quitté l’introduction pour entrer dans le vif du sujet avec une 6e symphonie époustouflante par le Deutsche Symphonie Orchester de Berlin, dirigé par Tugan Sokhiev. Alors que le festival reprend jeudi 24 mars et se poursuit jusqu’au 10 avril, on entendra encore 6 (sur presque 10) des symphonies de Mahler par les plus grands orchestres d’Europe (Bamberger Symphoniker, Radio Symphoniker Stuttgart, Philramonique de Montecarlo) mais aussi des grands quatuors, de la musique traditionnelle bretonne, une création de Betsy Jolas et un cycle de concerts exceptionnels sur la musique en Europe au temps du Roi Soleil. Retour sur un premier week-end de grande musique qui se prolonge presque tout le printemps à Monaco.

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C’est sous un soleil radieux que nous sommes arrivés à Monte-Carlo, samedi 19 mars 2016 pour l’ouverture du Printemps des arts. Nous avons commencé la longue et belles soirée d’ouverture par une rencontre, avec l’interview passionnante du directeur du festival depuis 2003, le compositeur Marc Monnet. A la suite de cet entretien (à venir très prochainement dans Toute la Culture), c’est dotés des meilleures clés pour entrer dans l’esprit de ce festival international, à la fois très original dans ses propositions et ses mélanges, très exigeant et ouvert à plusieurs types de publics (les places démarrent à partir de 17 euros pour entendre des solistes et des orchestres de renommée mondiale) que nous sommes descendus à l’amphithéâtre Rainier III pour découvrir à 18h l’exposition que le festival a pensé comme une introduction au héros de cette saison : Gustav Mahler (1860-1911).

Mise en place par Alena Parthonnaud avec les archives de la Médiathèque Musicale Mahler de Paris et en collaboration avec la Fondation Royaumont, cette exposition commence sur un portrait de Mahler enfant et se termine sur son masque mortuaire. Des cartels nous permettent de suivre chronologiquement la vie exceptionnelle de celui qui a su être à la fois un des chefs d’orchestres les plus demandés d’Europe et un compositeur central, qui fait le lien entre la première et la seconde école de Vienne, ville où il a dirigé le fameux Hofoper de 1897 à 1907. Mais on apprend d’abord que Mahler est né en Bohême dans une famille juive et modeste, qu’il a 13 frères et sœurs dont de nombreux mourront en bas âge. Par des affiches, des dessins (notamment de Alfred Roller, membre de la session qui a beaucoup travaillé les affiches et les décors des créations de Mahler, des pages de partitions et des photos, l’on voit comment le chef d’orchestre débordé mais aussi le compositeur s’inscrit dans un cercle de créateurs européens puis mondiaux. On le voit notamment aux côtés de Richard Strauss et puis aussi diriger à le Festival d’Alsace Lorraine à Strasbourg en 1905. On découvre aussi son buste par Rodin, ou encore une caricature par le ténor Caruso. Si l’exposition est plus modeste de taille que celle que le musée d’Orsay avait dédié au compositeur pour le centenaire de sa mort en 1911 (lire notre article), elle est faite avec une grande pédagogie et nous a parfaitement préparée à entrer dans l’univers du compositeur pour passer un week-end avec lui, en bord de méditerranéenne.

L’exposition parle notamment beaucoup de la moitié indispensable du musicien : Alma, qu’il a épousée quand il avait 19 ans à qui il a demandé d’arrêter de composer et après de qui il se ressourçait et parvenait à trouver le calme de composer, l’été. Alma Mahler était très présente en cette soirée d’ouverture, notamment à partir de 20h30 où, dans le cadre magnifique de l’Opéra que Garnier a construit à Monte-Carlo et qui jouxte le Casino, l’on a beaucoup entendu parler de cette femme forte en avançant dans notre connaissance de Mahler avec le film de Andy Sommer, Gustav Mahler, autopsie d’un génie. Attentif et chronologique, ce film propose beaucoup de musique, quelques images d’archives de grandes interprétations de Mahler, mais sa grande force sont des interviews passionnantes : à la fois du biographe Henry-Louis de Lagrange, du baryton Thomas Hampson, de celui qui l’a réhabilité (avec Bruno Walter) après une petite traversée du désert, Leonard Bernstein (indépassable Bernstein bronzé parlant, chemise ouverte sur son torse de bel homme âgé, de sa passion pour Mahler…) et d’autres chefs et compositeurs aussi fins que Pierre Boulez ou justes que Claudio Abbado… Un moment d’émotion et de compréhension qui nous a mis en appétit pour passer… à la musique.

Et c’est sous la forme intime d’une récital de Lieder piano voix que nous sommes entrés dans le son des Wagner à travers une selection de pièces de Gustav et Alma Mahler interprétés par la mezzo-soprano Maria Ricarda Wesseling, accompagnée par Peter Nilsson. Aux thèmes communs de la nature et à des extraits du puissant cycles du Knabes des Wunderhorn ou des Lieder ein fahrendes Geselle de Gustav, nous avons pu confronter des composition d’Alma Mahler à partir de poètes de son temps : Rilke, Werfel, Dehmel, ou Harleben. Même si nous avions du mal à lire les paroles dans la pénombre, la cantatrice était tellement habitée par ce double portrait qu’elle nous a transmis une partie du tourment d’Alma et de la Sehnsucht de Gustav.

Après près de 3 heures à l’opéra, nous avons passé une nuit reposée et fraîche sur le rocher et pu nous promener dans la région pour nous préparer au concert du dimanche, qui a eu lieu à 18h. Le printemps des arts a commencé tout de suite avec la 6e symphonie “tragique” de Mahler, celle ou des coups de vrais marteaux sont donnés comme un exécution sans appel. réunis sous la baguette de Tugan Sokhiev les musiciens du Deutsche Symphonie Orchester de Berlin étaient en bon nombre, avec une armée de violons, de violoncelles et de contrebasse pour 1h20 de voyage musical où le public a retenu son souffle.

Vif et élégant, Tughiev a accompagné la bouffée folle d’énergie du premier mouvement qui commence comme une marche militaire et que le public a voulu applaudir tellement elle l’a déjà impressionné. Jamais doux et très angoissant, le scherzo était aussi parfaitement accablant et l’on a pas eu le temps de se remettre que le troisième mouvement a continué à nous emmener plus loin, les bois semblant lutter plus que répondre la lutte parfaitement rythmée entre les trois pas d’une valse viennoise esquissée mais jamais dansée et un rythme en quatre temps terriblement troublant, l’on s’est rappelé ce que disait Boulez dans le film de la veille : Mahler a commencé à disloquer la forme de la musique.

Alors que cela paraissait impossible, l’orchestre a semblé monter encore d’un cran dans sa précision, son émotion et son engagement pour un quatrième mouvement aussi complexe que plein, aussi époustouflant que sans appel. Les coups de marteau ont retenti et nous sommes sortis de cette immersion dans l’art de Mahler avec sa symphonie grave au cœur et à l’oreille et le sentiment puissant d’avoir assisté à une immense interprétation de l’oeuvre.

Le printemps des arts reprend jeudi 24 mars avec un week-end où l’on entendra du Biber, découvrira la technologie Iannix et entendra la 9e symphonie et la quatuor Tana. Plus d’informations sur le site du Festival. 

visuels : YH

Infos pratiques

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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