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« Tout dépend du nombre de vaches » aux Zébrures d’automne : une belle réflexion sur la mémoire du génocide rwandais

« Tout dépend du nombre de vaches » aux Zébrures d’automne : une belle réflexion sur la mémoire du génocide rwandais

24 September 2022 | PAR Julia Wahl

Premier spectacle du jour aux Zébrures d’automne : Tout dépend du nombre de vaches.

Les vaches dont il est ici question, ce sont celles qui permettent de distinguer les Tutsis des Hutus : dix, selon le pouvoir colonial belge, qui instaura cette distinction avec les conséquences que l’on connait. L’objet de Tout dépend du nombre de vaches est en effet de retracer l’histoire du génocide rwandais et, surtout, ses conséquences sur les générations suivantes.

L’Histoire à hauteur d’enfant

L’idée était de proposer une mise en scène qui permette de dire l’indicible, de transmettre aux enfants l’intransmissible. Pour ce faire, Dalila Boitaud-Mazaudier et Hadi Boudechiche ont eu l’idée d’une séparation comme seuls les génocides savent en faire : d’un côté les parents, de l’autre les enfants. Si, pour ces dernier.e.s, le génocide est raconté à la manière d’un conte à travers les pérégrinations d’un jeune garçon, les adultes vivent à hauteur d’enfant les questionnements induits par le génocide : qu’est-ce qu’un génocide ? Comment/Pourquoi en transmettre la mémoire ? Comment élever ses enfants quand on a perdu, jeune, ses propres parents ?

Les adultes sont convié.e.s à s’interroger par Dalila Boitaud-Mazaudier elle-même, promue maitresse d’école. Elle fait écouter aux spectateurs et spectatrices des paroles d’enfants, trace sur une ardoise des silhouettes singeant les représentations coloniales des Tutsis et des Hutus et distribue des cahiers que le public est appelé à s’approprier, y dessinant lui-même une vache ou lisant à voix basse un récit de transmission. Cette dialectique du collectif qu’est le spectacle et des activités solitaires que sont la lecture et le dessin rend compte de l’ambivalence de l’expérience génocidaire, individuelle et collective elle aussi.

La symbolique des objets

La maitresse d’école accompagne ses récits et réflexions de nombreux accessoires qui font signe vers le théâtre d’objets. Alors que la leçon de calcul se fait à l’aide d’un boulier à vaches, l’apprentissage des mois est illustré par une brique de lait, ce qui nous apprend au passage que le mois d’avril, en kinyarwanda, se dit « mois du lait ». Un mois du lait qui, en 1994, fut aussi celui du sang.

L’objet le plus fort symboliquement du spectacle est toutefois cette radio qui accueille le public avant même la séparation liminaire : une radio portable un peu ancienne, qui figure là encore cette dialectique de l’individu et du collectif. Si l’écoute de la radio est une action individuelle, ne relie-t-elle pas les gens en une communion parfois terrible, comme le fit la Radio des Mille Collines ? Il semble que ce soit ces objets, un boulier, une radio, un vieux cahier d’écolier, qui assurent finalement le mieux cette difficile mémoire du génocide.

Tout dépend du nombre de vaches relève le pari d’un spectacle destiné aussi bien aux enfants qu’aux adultes sans jamais bêtifier ni tomber dans le sordide. Son questionnement sur la transmission des expériences génocidaires, douloureusement sans réponse, est toujours nécessaire.

 

Écriture : Dalila Boitaud-Mazaudier
Mise en scène : Dalila Boitaud-Mazaudier et Hadi Boudechiche
Interprétation : Dalila Boitaud-Mazaudier, Hadi Boudechiche, Vincent Mazaudier, Thomas Boudé/Cyril Dillard
Musique : Thomas Boudé, Cyril Dillard
Scénographie : Adrien Maufay
Graphisme et vidéo : Katie Palluault
Diffusion : François Mary
Graphisme : David Alazraki

Visuel : ©Cécile Marical

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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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