
« Anna, ces trains qui foncent sur moi » aux Zébrures d’automne : un délicat mélange des genres
Après Tout dépend du nombre de vaches, les Zébrures d’automne enchainent sur Anna, ces trains qui foncent sur moi.
Un week-end d’été à la campagne qui réunit tous les ans, tel un rite inamovible, parents et ami.e.s. Des cadres du parti social-démocrate local qui en profitent pour se jeter à la figure les mêmes sempiternels reproches. Au-dessus de cette bruyante mêlée resplendit Anna, la « parfaite », que toutes et tous admirent. Il suffit toutefois que des chevreuils soient tués à bout portant pour que l’ambiance change, que les règlements de compte prennent une tournure plus grave et que le personnage d’Anna révèle un nouveau visage.
Un délicat mélange des genres
Anna, ces trains qui foncent moi parvient ainsi à réunir, tout en délicatesse, différents genres dramatiques. La pièce policière voisine avec la comédie de mœurs et la satire. Ainsi voyons-nous des citadin.e.s découvrir avec stupeur que les magnolias ne fleurissent qu’au printemps et que, comme le leur dit leur hôtesse, la nature ne les attend pas.
Mais c’est surtout la rivalité et l’hypocrisie des dirigeant.e.s politiques qui est ici fustigée : babillage paternaliste des mâles, sacrifice des femmes à leurs ambitions, mépris social… Ce parti, « gauchiste » pour certain.e.s, « de centre-droit » pour d’autres, semble avoir un sérieux besoin d’humilité. Seules les femmes sont ici capables d’entraide et de solidarité. Le tournant opéré par la découverte des chevreuils interdit toutefois de réduire la pièce à cette dimension satirique : plus que la politique ou l’intrigue romantico-policière, c’est ce jeu avec les genres qui est au cœur du spectacle.
Un jeu avec les emplois théâtraux
Ce jeu avec les genres doit beaucoup à la multiplicité des personnages : chacun.e apparait en effet comme un emploi, au sens classique du terme, charriant avec lui son lot de topoi contemporains. Ainsi en est-il de Marie, dont la verve n’est pas sans rappeler la Sophia de La Femme de mon frère, de Stéphane, politicien séducteur, ou de Daria, la drama queen.
La caractérisation de ces personnages doit autant aux invectives que leurs ami.e.s leur lancent qu’au langage qu’ils emploient. La précision des dialogues fait en effet partie du plaisir de la pièce et participe en grande partie du comique de la première partie. La construction de l’intrigue tient également à cette finesse d’écriture, qui tient en haleine le public du début à la fin de la pièce.
Bleu nuit et vert nature
Notons également une mise en scène qui sert joliment le texte de Steve Gagnon. Le jeu des acteurs sert ce travail sur les codes théâtraux grâce à un mélange des types de jeu. Interprétation réaliste ou davantage stéréotypée, adresses public et jeu avec le hors-scène… Tout nous rappelle, sans le marteler, que ces personnes qui nous font face ne sont jamais que des personnages de théâtre.
Le rôle de la scénographie est ici fondamental : les tables de pique-nique qui accueillent le spectateur font d’emblée signe vers les disputes de famille qui s’éternisent, tout en donnant une véritable profondeur à la scène. Quant à la lumière, elle crée grâce au croisement des faisceaux des liens entre les personnages et passe du vert nature au bleu nuit du roman policier avec subtilité.
Visuel : © Christophe Péan