Marionnette
“Tarakeeb” : léger et poétique comme l’envol d’un oiseau

“Tarakeeb” : léger et poétique comme l’envol d’un oiseau

01 May 2022 | PAR Mathieu Dochtermann

Tarakeeb est le premier spectacle de la compagnie Hékau, qui a pu le présenter notamment au théâtre municipal Berthelot – Jean Guerrin à Montreuil. Il s’agit d’une forme muette, très poétique, de théâtre d’ombre, articulée autour de l’histoire d’un dresseur de pigeon égyptien qui décide de s’installer à Paris.


Toute la nostalgie de l’exil

L’histoire contée dans Tarakeeb est simple, et elle en est peut-être d’autant plus poignante. Un dresseur de pigeon égyptien, qui a construit son pigeonnier sur le toit d’un immeuble du Caire, vient à Paris à l’occasion d’un concours de colombophilie. Il fait le choix de ne pas reprendre l’avion pour sa terre natale et s’installe en banlieue parisienne, où il tente de pratiquer son métier, mais il se retrouve rapidement en butte à l’hostilité de la population et des autorités. A l’issue de ces épreuves, il rencontre finalement une forme d’acceptation.

Cette histoire presque naïve est néanmoins très touchante, peut-être justement parce qu’elle a la simplicité d’un archétype. Evidemment les réactions d’incompréhension et de rejet des français face au pigeonnier en bois que le dresseur érige sur le toit de son immeuble de banlieue sont un peu outrées. Les difficultés de l’acclimatation en France donnent lieu à des scènes caricaturalement sombres. Mais en même temps il émane beaucoup de douceur du traitement formel du récit, de la forme des silhouettes, des couleurs et de la musique. Et cette noirceur relative sied bien au récit… et n’est pas si éloignée de la réalité.

Au final, on comprend bien que ce traitement réservé aux pigeons est en fait une métaphore du rejet de l’étranger, et de la difficulté pour le migrant de trouver sa place dans le pays qui l’accueille. Cela pourrait être politique ou prosaïque. Mais, dans l’ensemble, Tarakeeb exsude une indéfinissable nostalgie, comme un lancinant mal du pays qui s’infiltrerait partout. Cette atmosphère, qui tient à des détails infimes, est en parfaite adéquation avec le fond du propos, mais elle le rend en même temps poétique, transformant presque en beauté des épreuves qui n’ont rien de sympathique.

L’amour de l’ombre pour la lumière

Au niveau du traitement formel de Tarakeeb, ce qui impressionne immédiatement c’est la minutie mise dans la confection des ombres utilisées, en même temps que l’intelligence et la sobriété de leur utilisation. En grande majorité, les ombres sont projetées depuis l’arrière des quatre écrans, même si quelques passages voient les marionnettistes manipuler à vue devant eux.

On sent qu’une longue recherche a présidé à la confection de ces ombres : le découpage des formes et silhouettes est élégant et précis, mais surtout un travail notable a été fait sur la lumière, les façons de la teinter de diverses couleurs ou de rendre diverses textures, le travail sur les sources lumineuses qui donnent des images très nettes. Les couleurs du ciel notamment sont rendues de manière somptueuse, surtout dans les tons rouge orangés des couchers de soleil. L’exploration est allée jusqu’à trouver un emploi – parfaitement pertinent – à un rétroprojecteur, qui permet notamment de camper un passage par la préfecture de police particulièrement crépusculaire.

Du point de vue figuratif, les signes maniés sont très clairs : la situation géographique est toujours limpide, et autant il est simple de montrer minarets et coupoles pour figurer le Caire, autant les barres d’immeubles HLM de la banlieue parisienne sont moins faciles à rendre immédiatement univoques. Le spectacle a quelque chose d’un décor de carte postale qui se ferait plus réaliste avec l’avancée de l’histoire : images d’Epinal du Caire et de Paris qui aboutissent finalement à la triste réalité d’une banlieue anonyme. Les animaux et les humains ont des contours naïfs qui leur donnent un relatif anonymat, et permettent à l’imaginaire du public de largement se déployer pour suppléer aux détails. Le trait n’est pas dépourvu d’humour – pour s’en convaincre il suffit de considérer les drôles de pigeons découpés pour les besoins du concours international de colombophilie.

Une mise en scène au service de la poésie

Le choix de proposer plusieurs espaces de projection, qui peuvent ouvrir autant de fenêtres différentes sur différents lieux séparés, ou au contraire offrir différents cadrages de la même scène, est assez astucieux. Il permet surtout de travailler dans un sens cher aux spécialistes contemporains du théâtre d’ombres, qui est de trouver les moyens d’insuffler une troisième dimension à ce langage artistique qui offre structurellement une vision en deux dimensions. Les déplacements d’un écran à l’autre, des sources comme des silhouettes, participent de cette spatialisation, tout autant que les techniques de zoom (par éloignement ou rapprochement des sources lumineuses) ou de superposition d’ombres.

La manipulation est précise et les marionnettistes prennent leur temps, ce qui renforce le côté irréel ou onirique de l’histoire, qui semble exister dans un rythme hors du flux de nos existences quotidiennes. L’ensemble a, à dessein, un côté très artisanal. On peut voir nettement le léger tremblement de la main qui manipule dans les scènes où les ombres sont très agrandies. Et surtout, le choix a été fait de ne pas tenter de dissimuler les marionnettistes, même si elles sont vêtues de noir : on peut donc apercevoir leurs déplacements, comme un spectacle derrière le spectacle, le ballet de la fabrique des images. Cela désamorce un peu de l’illusion – les montreuses ne sont plus les seules qui sont dans le secret de la confection des ombres – en même temps que cela ouvre un espace supplémentaire pour attiser la fascination du spectateur pour le spectacle. On trouve d’ailleurs dommage que les déplacements au plateau n’aient pas été plus soigneusement chorégraphiés, et soient, à l’heure où on écrit, uniquement dictés par les nécessités de l’efficacité.

Il faut souligner enfin que l’accompagnement musical contribue beaucoup au charme de cette proposition, qui est totalement muette à part quelques bruits d’ambiance où surnagent des bribes de conversation. La musique est toujours discrète et douce, malgré le fait qu’elle soit tirée d’une guitare électrique qu’on associerait plus volontiers aux rugissements des rockeurs. Ici, le son est clair, et navigue entre des accents divers, entre Orient et Occident. Omniprésente, la guitare sait pourtant se faire oublier, mais apporte en continu sa propre couleur à l’histoire, en trouvant un équilibre harmonieux avec ce qui est montré.

En somme, Tarakeeb est un spectacle qui bénéficie d’une grande délicatesse, non seulement dans la construction des images, mais encore dans le mouvement et dans le sentiment. C’est une œuvre modeste mais forte, qui arrive à saisir la beauté de ce qui fait un pays ou une vie. On espère qu’il rencontrera le succès qu’il mérite.

GENERIQUEDirection Artistique : Nicole Ayach
Avec : Nicole Ayach, Alix Sulmont, Mathieu Husson

Conception : Nicole Ayach et Hany Hommos
Création Musicale et sonore : Abdallah Abozekry, Mathieu Husson
Régie Lumière : Tatiana Carret
Construction : Hany Hommos, Nicole Ayach, Alix Sulmont
Scénographie : Alix Sulmont
Construction du Décor : Christophe Derrien
Création lumière : Corentin Praud, Tatiana Carret
Regards extérieurs : Grégoire Calliès, Corentin Praud, Geneviève Bartoli
Aide à la dramaturgie : Corentin Praud
Aide à la construction de marionnettes : Yasmin Lüdke, Zoe Sulmont, Liz Godoy, Adam Thompson

Photo : (c) Inès Sieulle

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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