Théâtre
Shochiku Grand Kabuki à Chaillot : un dépaysement théâtral envoûtant

Shochiku Grand Kabuki à Chaillot : un dépaysement théâtral envoûtant

15 September 2018 | PAR Claudia Lebon

Hier soir, le palais de Chaillot revêtait ses plus belles couleurs japonaises pour nous offrir un moment de théâtre dépaysant et ravissant. L’occasion de découvrir le traditionnel kabuki avec deux pièces majeures du répertoire.

Une foule intrigante se pressait hier à Chaillot habillant le palais d’élégants kimonos, visions lumineuses et exotiques dans le Grand foyer. Ainsi paré, le théâtre annonçait déjà le dépaysement de cette soirée. Nakamura Shido II et Nakamura Shichinosuke II nous honorent de leur présence jusqu’au 19 septembre, avec un spectacle de kabuki, l’une des formes théâtrâles traditionnelles du Japon.

Evidemment, laissons là nos grilles de lecture occidentales et tâchons de recevoir ce spectacle en adhérant aux codes du kabuki. Née au XVIIe siècle, à l’ère d’Edo, cette forme théâtrale populaire engage le spectateur par la voie sensible et spirituelle. Jeu, danse, chant et musique, le kabuki nous plonge dans un univers envoûtant qui sollicite tous nos sens.

Le rideau s’ouvre pour Iromoyô Chotto Karimame Kasane, première pièce du programme. Le décor abondant qui retranscrit cette “nuit sombre et pluvieuse à la campagne” nous indique qu’ici, l’illusion théâtrale est clairement recherchée. Sombre histoire d’amour impossible entre le samouraï Yoemon, rattrapé par ses crimes, et une femme noble, Kasane, amoureuse soumise et trahie par son amant, qui finit par se transformer en démon vengeur. Une pièce qui donne à voir la prison éternelle que constituent nos péchés et leurs empreintes dans le coeur de l’autre.

Cette héroïne, Kasane, est admirablement interprétée par l’acteur Nakamura Shichinosuke. Car dans le kabuki, ne sont admis que les hommes, qui jouent donc les rôles féminins. Et quelle féminité ! Exacerbée, elle exhale avec grâce du jeu de l’onnagata qui sublime en chaque geste la quintessence du féminin. Un jeu extrêmement genré qui peut amuser notre oeil occidental. Mais cette beauté féminine ne doit être approchée que dans l’univers dramatique du kabuki, un monde imaginaire où “le beau sexe est une fiction d’une séduction extrêmement vivante”. Chaque mouvement, chaque geste a une signification particulière. Les mains tenues ensemble rappellent à l’amant l’intimité charnelle. Et Kasane danse, son écharpe à la bouche, tandis que le choeur exprime sa plainte amoureuse…

Poésie du corps mais aussi du texte qui nous rappelle les haïkus où les éléments naturels signifient le quotidien des hommes : “Comme la rosée votre vie doit s’évaporer à cause de moi”. Ainsi, le temps fait avancer l’intrigue. Tonnerre, pluie et vent, signifiés par le son des tambours, rythment l’action. Seuls l’eau et l’air qui s’éveillent semblent détenir le secret de l’histoire.

Avec Narukami, le ton devient plus léger. Cette seconde pièce qui raconte la chute symbolique d’un religieux sombrant dans la luxure, nous permet de découvrir avec joie l’humour japonais. Un florilège de grivoiseries croustillantes et de procédés comiques qui ne nous sont pas méconnus. Comique de gestes, de mots, de caractères… Les Japonais nous ont fait beaucoup rire hier soir, notamment grâce à Nuage blanc et Nuage noir, le duo réjouissant de la pièce : deux moines facétieux, commères curieuses et clownesques qui se chamaillent et taquinent leur maître qui tombe en amour. Cette société religieuse s’avèrera bouleversée par l’intrusion de cette femme outrageusement belle et le désir consumera Narukami, le saint ermite, prêt à plonger en enfer sous les jupons de son amante…

Shochiku Grand Kabuki est une très belle opportunité que nous offre Chaillot. Celle de découvrir un univers théâtral bien éloigné de notre culture occidentale mais aussi d’apprendre l’art d’être spectateur… à la japonaise. L’audioguide confié par le théâtre vous accompagnera dans ce dépaysement théâtral…

Shochiku Grand Kabuki au Théâtre national de Chaillot 
Dans le cadre du programme Japonismes 2018
1 Place du Trocadéro Paris 16
Jusqu’au 19 septembre
2h40 entracte compris
De 8 à 45 euros

Visuel © Shochiku Co.,Ltd

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