Cinema
[Étrange Festival 2018] “Frig”, nouveau film frappant d’Antony Hickling

[Étrange Festival 2018] “Frig”, nouveau film frappant d’Antony Hickling

15 September 2018 | PAR Geoffrey Nabavian

Ce film d’une heure donne l’occasion de retrouver le réalisateur du magnifique Where horses go to die au sein de la programmation de l’Étrange Festival. Expérimental, et habité par un acte central hardcore, Frig est aussi traversé par des instants où le talent d’Antony Hickling éclate fort.

[rating=4]

Le premier mouvement de Frig, nommé “Love“, est une splendeur : en cinq minutes, une voix-off résume une histoire amoureuse, en dialogue avec des images granuleuses filmées au portable ou au caméscope pas très puissant. Racontée de ses prémisses à son instant de basculement “dans la merde”, cette histoire est contée par une voix qu’on croirait être celle du réalisateur, Antony Hickling (signataire du magnifique Where horses go to die, splendide film projeté à l’Étrange Festival 2016, et sorti dans les salles françaises en janvier 2017). Somptueusement écrit, avec des mots à la fois lyriques et physiques, parfois très durs, cet acte suggère des choses humaines sans aucun effet, avec une simplicité et une justesse qui confinent à la maestria. La musique, entêtante et belle, frappe, les mots sont excellemment choisis, l’intelligence prédomine. Tout est visible, tout est ouvert, rien n’est appuyé : un début merveilleux.

La conclusion du film fera bientôt montre de la même finesse, et d’une attention d’esthète : son caractère abstrait, et ses bruits de flammes mêlés à des mots de William Shakespeare produisent un effet assez fascinant, à la fois un peu agréable pour l’oreille et vénéneux. Ample et ouvert en tout cas : cette conclusion de sept minutes vient terminer, selon les mots du réalisateur, sa trilogie entamée avec Little Gay Boy, et continuée avec Where horses go to die (dont on ne recommandera jamais assez la vision).

Entre rêve et saleté

Entre ces deux mouvements, deux actes s’intercalent, au sein de Frig : l’un se nomme “Shit“, l’autre “Sperm“. Et si Frig, qui sortira le 28 novembre dans le circuit des salles françaises (au Saint-André-des-Arts) s’est vu assortir d’une interdiction aux moins de 18 ans, c’est en raison de son deuxième mouvement, très extrême. Désireux de traduire en images la “zone de merde” où bascule le personnage principal (joué par Bino Sauitzvy) dès lors que l’amour évoqué en tout début de film entre dans sa phase menant vers la séparation, le film montre ce protagoniste soumis à des fantasmes violents. Ces séquences s’enchaînent dans une pièce aux murs blancs, filmée comme un espace de rêve. Et Frig entend en appeler à Salo ou les 120 journées de Sodome (film de Pier Paolo Pasolini lui-même inspiré du Marquis de Sade), faisant se succéder cercle des passions (violentes), de la merde et du sang.

Au tout début de ce deuxième acte du film, le héros franchit une porte et s’assoit dans la pièce blanche. Un autre homme entre bientôt, lui attrape la main, la passe sur son visage, et finit par se donner des gifles avec. Suit une scène où un autre acteur rentre, et se met à embrasser le torse du personnage principal, en lui pinçant un peu les tétons au passage. Bientôt, un troisième interprète, avec un bras en moins, s’invitera dans cette ronde, pour infliger un coup dur au héros. Ces scènes, à la lisière du film érotique, apparaissent cependant filmées avec une mini distance, et un sens esthétique fort, créant une ambiance de songe. L’univers matérialisé dans Salo n’est pas loin… Et un homme (le héros lui-même ?) observe ce qui se déroule dans la salle, par un trou de mur.

Ensuite, quand la merde puis le sang entrent en scène, le film prend un virage vraiment très extrême. Qui va plus loin, au moment du sang, que les scènes visibles dans le fameux Salo… La quinzaine de minutes consacrées à ces matières atteint des pointes parfois pas évidentes à regarder.

On est ensuite, enfin, invité à suivre le troisième acte, plus métaphorique que les autres. Le héros y recherche la porte de sortie de l’histoire qu’il a vécue. Assis sous un mystérieux arbre, il songe. Peut-être cherche-t-il à revivre une sensation qu’il éprouva… Ce faisant, on le voit vagabonder dans une mystérieuse forêt, où il croise des êtres peut-être symboliques. Certains plans de cette traversée apparaissent beaux, et demeurent en tête, tels le feu de camp presque muet…

Même s’il est un peu court, Frig se pose au final comme un film à plusieurs dimensions, traversé par des fulgurances splendides. La hâte est grande quant à l’arrivée du prochain film d’Antony Hickling, annoncé comme un drame pur et dur…

*

Frig sortira dans les salles françaises (au Saint-André-des-Arts, à Paris) le 28 novembre.

Le vingt-quatrième Étrange Festival se poursuit jusqu’au 16 septembre, au Forum des Images.

Frig, un film d’Antony Hickling. Genre : Expérimental. Durée : 1h. Interdit aux moins de 18 ans (en grande partie à cause de ses 15 minutes avec merde et sang).

**

Visuels : © Cinéma Saint-André-des-Arts

Infos pratiques

Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines
Fall Of Summer
Avatar photo
Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration