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De Godzilla à Hatsune Miku, Tokyo et le manga

De Godzilla à Hatsune Miku, Tokyo et le manga

30 November 2018 | PAR Laetitia Larralde

Tokyo n’est pas une ville facile à appréhender tant elle est gigantesque et multiple. La Villette propose, dans le cadre de Japonismes 2018, de l’aborder par l’angle de la culture manga, dans un parcours historique et ludique.

Il ne faudrait pas confondre Manga Tokyo avec un salon tel que la Japan Expo. L’exposition n’est pas orientée marketing et otaku mais se tourne vers les relations qu’entretiennent Tokyo et la culture du manga, de l’anime et du jeu vidéo. Elle s’interroge sur comment ces nombreuses créations dites populaires s’intègrent dans la ville, s’inscrivent dans son histoire et en deviennent son témoin.
Tokyo a subi de nombreuses destructions, suite à des séismes et incendies ou pendant la guerre, mais a su se reconstruire à chaque fois. Contrairement à l’Europe, elle ne se rebâtit pas à l’identique, mais se réinvente constamment, change de visage avec une résilience incroyable. Ces cycles de destruction et de reconstruction se retrouvent dans Godzilla et la quantité d’autres monstres aux pouvoirs quasi divins qui s’attaquent en général à la tour de Tokyo ou au siège du gouvernement de Shinjuku, toujours reconstruites, ou encore dans Akira d’Otomo Katsuhiro, dont l’histoire s’ouvre et se clôt sur la destruction de la ville. On remarque que les ennemis des histoires japonaises, en lien avec les évènements réels, viennent de l’intérieur du Japon, contrairement aux comics américains qui combattent des ennemis extérieurs, détruisant tout aussi allègrement New York.

Les mangas et anime sont également des témoins de leur époque, du quotidien des tokyoïtes. Les estampes en sont les premières manifestations, beaucoup d’artistes d’ukiyo-e vivant à Tokyo, Edo à l’époque, dont la culture des plaisirs et le goût des arts graphiques alimentait et inspirait la production artistique. Depuis le XVIIème siècle, Tokyo sert de toile de fond aux histoires de personnages plus ou moins réalistes, de Sailor Moon à O-Ei, héroïne de Miss Hokusai de Keiichi Hara. Manga et anime sont les miroirs des mutations de la ville, de ses mœurs, de ses évolutions sociales. On croise les courtisanes de Moyoko Anno, le samouraï de Taiyô Matsumoto, fréquente les bains publics et les librairies, les échoppes ambulantes et maisons de thé de l’époque Edo.
La ville n’est pas la seule à être portraiturée : en filigrane se dessine un portrait social du Japon. Les mangas jusqu’aux années 1980 comme Nicky Larson montrent l’exubérance de la bulle économique, quand à l’opposé, ceux créés depuis la récession des années 1990 sont plus tournés sur les petits plaisirs quotidiens. Par exemple, de nombreux mangas ont pour sujet la nourriture, et plus particulièrement le repas, comme le Gourmet solitaire de Jirô Taniguchi, un des plaisirs premiers de la vie. L’atmosphère est plus intimiste, même quand le fantastique vient se mêler à l’histoire, comme dans le magnifique anime Your Name de Makoto Shinkai, ou Les Enfants loups, Ame et Yuki de Momoru Hosada.

Si le manga s’inspire et reflète la ville, ses personnages se sont peu à peu infiltrés dans la réalité. Tout voyageur à Tokyo aura remarqué les mascottes qui peuplent les rues, de la pharmacie de quartier au poste de police. Le kawaii ultra coloré est omniprésent dans les rues, les rames de métro ou les combini, supérettes ouvertes en continu et un des grands vecteurs de diffusion du manga. Le manga japonais est divisé en de nombreuses catégories selon le public auquel il s’adresse ou son sujet, et il a investi tous les espaces de la ville et toutes les tranches d’âge. Personne ne peut réellement s’y soustraire et chacun peut s’y reconnaître. Même si à l’image d’Otome road et Akihabara, les quartiers mangas, l’un pour les femmes et l’autre pour les hommes, les sexes sont encore très séparés, on constate qu’il y a assez peu de tabous et une variété de sujets abordés impressionnante, une fois sortis des classiques shôjo et shônen.
Si se promener dans New York rappelle un film ou une série à chaque coin de rue, à Tokyo les mangas et anime qui sont générateurs de pèlerinages dans les quartiers des séries préférées, sur les traces de leurs héros, créant ainsi un nouveau type de tourisme.

La scénographie se structure comme une visite au temple shinto : tout d’abord la rue commerçante avec les deux boutiques reconstituées d’Otome road et Akihabara, puis la porte de l’enceinte, grand poste de commande permettant de surveiller l’arrivée des ennemis depuis l’étage et sa vue sur Tokyo, ensuite le grand espace devant le sanctuaire occupé par une maquette géante de Tokyo, on salue les divinités, ici destructrices, on fait le point sur son quotidien et ses aspirations et on termine par les ema, tablettes votives portant les souhaits qu’on laisse au temple, grand livre d’or de l’exposition.

Manga Tokyo ne dure que très peu de temps, et offre un parcours entre nostalgie face aux héros de notre enfance, magie des planches originales (ou reproductions) des grands maîtres et reconstitution par petites touches centrée sur l’humain d’une mégalopole fascinante. Hayaku, hayaku, filez à La Villette !

Manga Tokyo
Du 29 novembre au 30 décembre 2018
Grande halle de La Villette

Visuel : Illustration by Yoh Yoshinari / Graphic design by Tsuyoshi Kusano ©Crypton Future Media, INC. www.piapro.net / ©khara / ©Naoko Takeuchi/PNP, Toei Animation / ©Osamu Akimoto, Atelier Beedama/SHUEISHA / ©SOTSU, SUNRISE / ©TOHO CO., LTD.

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Laetitia Larralde
Architecte d'intérieur de formation, auteure de bande dessinée (Tambour battant, le Cri du Magouillat...)et fan absolue du Japon. Certains disent qu'un jour, je resterai là-bas... J'écris sur la bande dessinée, les expositions, et tout ce qui a trait au Japon. www.instagram.com/laetitiaillustration/

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