Théâtre
“Les Présomptions”, quand la marionnette s’immisce avec talent entre les barres d’immeubles

“Les Présomptions”, quand la marionnette s’immisce avec talent entre les barres d’immeubles

06 June 2018 | PAR Mathieu Dochtermann

Durant les Scènes Ouvertes à l’Insolite du Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette à Paris, on pouvait encore découvrir, si on l’avait manqué, Les Présomptions du collectif Le Printemps Du Machiniste… en tous cas, les trois épisodes de la saison 1 ! Une scénographie très travaillée pour un texte qui ne l’est pas moins, des mots d’aujourd’hui pour des thématiques d’aujourd’hui. Usage intelligent de la vidéo, interprétation précise, manipulation ludique, rien, absolument rien ne justifie que l’on boude le plaisir de voir ce spectacle !
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Il ne serait pas facile d’écrire sur Les Présomptions du collectif Le Printemps Du Machiniste. Objet sensible et spectaculaire, mais objet complexe, aussi, qui réussit toujours à se glisser là où on ne l’attend pas. Objet difficile à saisir, donc, si l’on doit tenter de décomposer ce qui en fait le succès.

En dire qu’il s’agit d’un spectacle de marionnettes particulièrement écrit pour un public adolescent, ce serait réducteur. Même si c’est vrai. Et même en précisant qu’il n’y a pas d’âge limite pour y prendre du plaisir en tant que spectateur.

On pourrait l’aborder par sa scénographie, conçue pour la rue, un ensemble d’éléments qui créent des configurations modulables visuellement fortes, tellement évocatrices des milieux urbains avec leur squelette de tubes d’acier et leurs à-plats de béton. Leurs angles et leurs arrêtes. Leur caractère anonyme et passe-partout, si conforme aux paysages de nos villes.

On pourrait rappeler qu’il s’agit d’écriture contemporaine, d’un texte de Guillaume Poix, qui est partie prenante dans l’écriture de la saison 2. Que la langue, populaire, jeune, dépouillée, heurtée, fragmentée, dessine petit à petit les enjeux complexes de luttes de pouvoir où le plus important se joue dans les silences. Ou comment glisser imperceptiblement d’une simplicité apparente à une richesse sous-jacente qui ne s’interdit pas d’aller chatouiller le genre, la séduction, la sexualité, les rapports hiérarchisés au sein d’un groupe.

On pourrait aussi parler de ce découpage en épisodes et saisons, justement, cette redoutable intelligence, cette heureuse aptitude à s’inscrire dans le présent, à y capter la prégnance de nouveaux formats dans la façon d’aborder le temps ludique, en faire une composante de la proposition artistique. Saucissonnage qui autorise au moins autant de modularité dans la représentation, que les éléments de la scénographie en autorisent dans la construction de l’espace de jeu. Pour cette saison 1, trois épisodes Square, Berge et Couloir aux titres trompeurs qui évoquent une topographie urbaine, masquant ainsi les enjeux des dialogues… à moins que, justement, la ville ne façonne les êtres plus qu’ils ne sauraient l’admettre ?

Evidemment, comme il s’agit de marionnette, on pourrait parler de l’utilisation de la gaîne chinoise, de la pertinence de mobiliser cette forme anthropomorphique, dotée de jambes, puisqu’il n’y a pas ici de castelet fermé pour en dérober la partie inférieure au regard du public – d’ailleurs, la manipulation ne se fait pas en élévation. De l’inteligence d’avoir utilisé ces petites marionnettes aux masques anonymes, pour incarner, dans une scénographie à l’échelle, des personnages écrits pour être innommés, et donc aussi universels que possible : Un, Deux, Trois, Quatre, ils sont nous tous aussi bien qu’ils ne sont personne. De l’astucieuse incorporation d’aimants. Du fait qu’il n’y a, en réalité, pas que de la gaîne, puisque l’épisode 2 fait appel à deux marionnettes dont l’axe central est tenu par un fil, et dont la tête et les membres sont animés directement, dans une manipulation équiplane de marionnette sur table.

Parce qu’il s’agit d’un spectacle, on pourrait aussi disserter sur les interprètes, qui arrivent à trouver leur justesse dans les failles d’un texte syncopé, en réussissant, par des variations parfois infimes, à distinguer les voix de leurs personnages sans pour autant perdre l’authenticité de leur propre parole. On pourrait parler de Dorine Dussautoir, principale manipulatrice, qui arrive à jongler avec une cohorte de marionnettes sur une partition de mouvements très étudiée et complexe. Parler de sa formation au Théâtre aux Mains Nues, du parrainage de l’artiste de génie qu’est Yeung Faï.

Il ne faudrait pas oublier, pour faire le tour des caractères essentiels de ce spectacle, qu’Adrien Alix rythme et nuance chaque épisode en l’accompagnant à la viole de gambe. Une partition musicale en écho à la partition marionnettique, une amplification plus qu’un commentaire, un partenaire de jeu actif qui tantôt impose son tempo, tantôt répond aux mots ou aux mouvements. L’écoute nécessaire à poser un jeu musical aussi délicat sur le spectacle est assez bluffante.

Sans aucun doute faudrait-il compléter le propos en interrogeant la place de ce drôle de metteur en scène qu’est Louis Sergeyev, qui invente sa fonction à mesure qu’il en déborde, constructeur de marionnettes autant que directeur d’acteurs, et puis finalement en représentation lui-même, dans les changements de scène, un grand bloc de papier à la main, effeuillant malicieusement les unes à la suite des autres des questions plus ou moins existentielles adressées aux spectateurs. En commençant par l’une des plus essentielles, pour celui qui vient de s’asseoir dans la salle : qu’est-ce que c’est, une bonne place ?

On devrait sans doute y ajouter encore beaucoup de commentaires. Sur les lumières, toutes portées par les éléments scénographiques à part des lampes frontales qui offrent un éclairage vivant, vibrant, à la mesure des marionnettes, mais froid aussi, en écho à l’acier et au béton qui dominent dans l’esthétique du spectacle. Sur l’utilisation de la vidéo, ici intelligente, ici pertinente, qu’elle permette de montrer l’écran d’un téléphone, ou qu’elle permette de serrer des points de vue décalés sur les actions, en induisant des changements d’échelle parfois surprenants. Sur la fabrication à vue du spectacle, de la manipulation aux changements de scéno. Sur la tenue vestimentaire des membres du collectif, des conventions qu’ils utilisent pour signifier leur rôle sur le plateau.

Il ne serait pas facile d’écrire sur Les Présomptions du Printemps Du Machiniste. Cela ferait un article bien long.

Alors on se contentera d’en dire ceci : il s’agit du mariage réussi de multiples éléments qui auraient pu se téléscoper, un équilibre complexe entre fond et forme, entre visuel et auditif, qui fourmille et déborde mais qui sur la longueur trouve une admirable cohérence. Alors, certes, le texte est ardu, et parfois encore difficile à parfaitement placer, dans le foisonnement de voix chorales, pour les interprètes qui doivent chercher en permanence leur musicalité propre et leur tempo. Mais c’est, indiscutablement, un spectacle abouti, un plaisir de spectateur, une proposition visuelle forte, un geste artistique complet qui cherche – et trouve – dans toutes les dimensions des arts de la scène.

Finalement, c’est ça qui compte, non ?

Prochain rendez-vous donné par le collectif, et pas des moins excitants : première lecture du texte de Guillaume Poix pour Les Présomptions, Saison 2, au Théâtre aux Mains Nues (75) ce 19 juin à 15h.

Texte : Guillaume Poix
Mise en scène et scénographie : Louis Sergejev
Comédienne-marionnettiste : Dorine Dussautoir, Morgane Mellet et Cécile Morelle
Musicien, écriture musicale : Adrien Alix
Construction marionnettes : Louis Sergejev et Cédric Robert
Visuels: (c) G-Duss

Infos pratiques

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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