Théâtre
“Passim”, l’étrange lieu de mémoire de François Tanguy

“Passim”, l’étrange lieu de mémoire de François Tanguy

10 October 2014 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Depuis 1982, François Tanguy est à la tête de la Fonderie, lieu de résidence et de recherche artistique. Il est ces jours- ci à Gennevilliers, au T2G, invité par le Festival d’Automne pour nous présenter Passim, un rêve assez obscur sur la mémoire culturelle commune.

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Que sait-on de Molière, Ovide et Shakespeare, et que fait-on de ces musiques que l’on connait sans forcément savoir les nommer, entendues “Passim”, c’est à dire “çà et là, en différents endroits” ? Pour François Tanguy, on les incarne comme dans un rêve ou un cauchemar dont on sort abasourdi, un peu hébété, empli d’une incompréhension chère aux réveils difficiles.

L’addition qui met un “+” entre le T2G, ce Centre Dramatique National dédié à la création (très) contemporaine et le Festival d’Automne, qui depuis 43 ans offre le meilleur de l’actuel, donne une indication : ce n’est pas parce que les costumes semblent avoir été volés à la Comédie Française qu’il faut tomber dans le piège d’un simulacre de classicisme. Elle entre seule en scène, sur ce plateau où s’accumulent les tables devenant théâtres de tréteaux et où les murs des décors sont des panneaux qui se bougent à la main, faisant en l’espace d’une seconde, changer le point de vue du spectateur. Elle se lance dans une version parodique de Penthésilée de Kleist avec une emphase et une voix de ventre digne des premières heures du vingtième siècle. Le décalage entre l’absolue contemporanéité de la proposition et son vecteur singeant l’archaïsme est total et Tanguy, pour son seizième spectacle s’amuse à nous faire voguer en eaux troubles tout le long. On s’enfonce et parfois on reconnait une tirade du Roi Lear ou des Bacchantes, parfois non, on ne sait pas. Si on ne sait pas, c’est mieux, on peut juste regarder les comédiens devenus foule entrer et sortir, en changeant d’allure, de posture et de costume à la vitesse de l’éclair dans un flow incessant.

Le fragmentaire et l’étrange sont ici à la fête, ce qui est souvent synonyme de beau théâtre actuel, mais ici, la distance avec le public, symbolisée par une sorte de barrière en métal et une création lumière qui reste dans l’obscur, crée un malaise. La performance est là dans cette proposition qui fonctionne intellectuellement mais qui s’épuise rapidement. On se lasse de ces mots lâchés et de ce jeu qui malgré un second degré évident, n’atteint ni parodie, ni hommage. On ne sait pas où se placer, ce qui est merveilleux. Mais le spectacle est exactement comme un radeau en pleine mer. La compagnie porte bien son nom car autour, et surtout avant et après Passim, il pourrait se dérouler les mêmes scènes avec d’autres textes, d’autres temporalités.
Il serait fou de vouloir ici comprendre, comme sur le radeau toujours, il faut accepter de le laisser voguer sans savoir si un jour nous retrouverons la rive, le risque d’un naufrage est ici anxiogène.

Visuel ©Didier Grappe

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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