Nouvelles et confessions de Wajdi Mouawad
A l’occasion de la reprise de « Littoral », le Théâtre 71 de Malakoff avec lequel le dramaturge collabore depuis dix ans a organisé le 23 janvier dernier une conversation sur la question du mythe au théâtre. L’occasion pour le public de rencontrer et d’écouter Wajdi Mouawad, artiste à la sagesse et à l’humanité inspirantes. Morceaux choisis.
« On ne sait jamais quand ça va nous tomber dessus. J’ai vécu une de mes rencontres déterminantes dans un couloir de l’école de théâtre. J’avais 18 ans. J’ai vu une annonce pour une conférence de Jan Kott (auteur de « Shakespeare notre contemporain ») et je m’y suis rendu, simplement attiré à l’idée de voir quelqu’un qui avait écrit un livre. A la fin de la conférence, je l’ai rattrapé dans le couloir afin de lui demander quelle pièce de Shakespeare choisir si je ne devais en lire qu’une seule. Il m’a répondu sans hésiter de lire « Hamlet », mais avec la consigne d’observer comment les enfants y sont sacrifiés pour réparer les bêtises de leurs parents. Dans mes pièces, les héros sont souvent des adolescents, sacrifiés par les utopies de leurs parents. Quand j’ai trouvé ma propre langue, qui était incompréhensible aux oreilles de mes parents, j’ai su que j’avais quelque chose pour me battre. »
« En ce moment, je suis dans une aventure qui me ravage des deux côtés. Je suis comme pris dans un lavage automatique pour les voitures, un des rouleaux s’appelle Krzysztof et l’autre Stanislas. Je suis en train d’effectuer la traduction de « Un Tramway nommé Désir » que Krzysztof Warlikowski met en scène (à partir du 4 février 2010 au Théâtre de l’Odéon), et je suis parallèlement dirigé en tant que comédien par Stanislas Nordey dans « Les Justes » de Camus (à partir du 19 mars 2010 au Théâtre de la Colline). Je crois que je vais écrire un livre sur ces deux Polonais, intitulé « Krzysztof et Stanislas » ! J’ai l’impression d’une part d’être en train d’assassiner Tennessee Williams, car Warlikowski n’arrête pas de dire que le texte original est trop bourgeois et il le modifie avec ma complicité. D’autre part, Nordey est extrêmement exigeant dans sa façon de diriger le jeu des acteurs. A un moment donné, je dois dire « de fond en comble » et Nordey me dit qu’il veut voir les combles. A un autre, je dis « la prochaine fois » et il veut que l’on sente que dans « prochaine », il y a « proche ». Je passe vraiment sous deux rouleaux compresseurs, car quand ils critiquent un certain théâtre qui serait trop comme ci ou comme ça, c’est de mon théâtre qu’ils parlent ! »
«J’aime beaucoup lire Sophocle, mais moins Eschyle ou Euripide. Sophocle donne son sens au mot « révélation ». En ce moment Robert Davreu, poète, traducteur, helléniste, et ami, traduit les sept tragédies de Sophocle afin que je les mette en scène. Je suis en
pleine lecture de sa traduction, qui m’évoque la langue des Lumières. Ce n’est pas facile à incorporer pour les comédiens, comme par exemple le sens du mot « formidable »… La première trilogie de Sophocle sera celle des femmes, car elles ont toujours eu une place prépondérante dans mon écriture : « Les Trachiniennes », « Electre » pour la question de la transmission, et « Antigone ».
« J’ai toujours eu l’intuition que je vivrais vieux, mais que je mourrais vite au théâtre. Qu’est-ce qui relève du suicide ? Qu’est-ce qui va me tuer ? Qu’est-ce qui fera en sorte que je ne me relèverai pas ? Il y a quatre auteurs que je qualifie de grands « paratonnerres » du théâtre : Sophocle, Shakespeare, Tchekhov et Beckett : la foudre est tombée sur eux, ou pas très loin. En ce moment, je travaille sur Sophocle, et je trouve bien de mourir sur les plages de Sophocle. Cela sera peut-être ma dernière aventure au théâtre. »
« La société a un rapport scolaire à la vie. Petit, on nous demande : « qu’est-ce que tu vas faire plus tard ? » Puis l’on devient ingénieur, ou artiste, et l’on se définit en tant que tel. On prend sa retraite et on dit : « J’ai été ingénieur » ou « artiste ». On arrive à la mort qui nous dit « mort ! » et on lui répond quoi ? « Ingénieur » ? ça n’a aucun sens ! Ce n’est pas possible ! Tout est question de langue. Il faut trouver sa langue propre, trouver le mot juste, trouver le lieu de sa langue. Quelle est ma langue ? Est-ce que j’ai la vie que je veux ? »
« Je me questionne vis-à-vis de la psychanalyse. Ce n’est pas un espace où je trouve mes réponses, mais un passage. Je pense que l’introspection est différente de la pensée. Chez le psy, couché sur le divan, on regarde le plafond. Mais le plafond est transparent et s’ouvre sur la sphère poétique à laquelle la psychanalyse n’a même pas accès. La poésie est la seule sphère du sujet. Si un individu en tue un autre, on va appeler un psy ou un sociologue en tant qu’expert. Pourquoi n’appelle-t-on pas un poète pour analyser le fait que quelqu’un tue quelqu’un d’autre ? »
La rencontre a débuté par la lecture de « Lettre ouverte aux gens de mon âge », sorte de manifeste des trentenaires écrit par Wajdi Mouawad, alors âgé de 33 ans, à la suite des événements du 11 septembre 2001. Pour lire l’intégralité de ce texte, cliquez ici
« Littoral », texte et mise en scène de Wajdi Mouawad, du 20 janvier au 21 février 2010 au Théâtre 71 Malakoff
« Ciels », texte et mise en scène de Wajdi Mouawad, du 11 mars au 10 avril 2010 aux Ateliers Berthier
« Un Tramway », d’après Tennessee Williams, mise en scène de Krzysztof Warlikowski, traduction de Wajdi Mouawad, du 4 février au 3 avril 2010 au Théâtre de l’0déon
« Les Justes », mise en scène de Stanislas Nordey, avec Wajdi Mouawad, du 19 mars au 23 avril 2010 au Théâtre de la Colline
Articles liés
2 thoughts on “Nouvelles et confessions de Wajdi Mouawad”
Commentaire(s)
Publier un commentaire
Votre adresse email ne sera pas publiée.
Publier un commentaire
Votre adresse email ne sera pas publiée.
yael
Excellent! et quel écorché vif…
Cette retranscription fidèle de la parole me fait néanmoins encore plus craindre le Tramway par Warlikowski….
rebecca
Bien vu cet article! merci!
moi, ça me fait l’effet inverse, j’ai bien envie de voir le Warlikowski! il est trés fort quand il met en scène les autres, angels in america, c’était ouf…