Marionnette
Se laisser conter biquette en compagnie de Molly

Se laisser conter biquette en compagnie de Molly

18 August 2022 | PAR Mathieu Dochtermann

Dans le Off de la 34e édition du festival Mima, qui se déroulait à Mirepoix du 4 au 7 août, existait la possibilité d’une jolie rencontre avec une proposition de qualité, offerte aux spectateurs et spectatrices par une compagnie qui ne dédaigne pas non plus les programmations In : la Drolatic Industry. Elle y rôdait deux fois par jour son dernier-né, Les histoires de poche de Molly Biquette, un spectacle orienté jeune public. Trois courtes histoires qui mettent en scène la relation entre la marionnettiste et sa marionnette, sous trois prismes différents. Intelligent, très doux, avec une facture de marionnette superbe et une manipulation à la hauteur.

Les familiers du travail de la Drolatic Industry perçoivent immédiatement qu’ils ont affaire à une proposition qui a comme un air de famille avec Les histoires de poche de M. Pepperscott (notre critique). Ici aussi il s’agit d’une forme tout-terrain, qui s’adapte à la salle comme à la rue, et qui met une marionnette aux prises avec son ou sa marionnettiste. Ici aussi, il s’agit de rentrer dans trois histoires très courtes qui jouent intelligemment sur la nature propre de la marionnette, et sur la relation duale entre humain.e qui manipule et créature manipulée. La facture de la marionnette, d’ailleurs, ne trompe pas : on retrouve la minutie de construction, la douceur des traits, les couleurs pétillantes mais douces qui font la signature immédiatement reconnaissable de la Drolatic.

La principale différence tient dans l’adresse : on est ici face à un spectacle qui se propose de toucher les jeunes enfants, puisqu’il est recommandé à partir de 3 ans. Pour l’écrire, là où M. Pepperscott s’était attaché la complicité du talentueux conteur Pépito Matéo, Molly Biquette a pu bénéficié de la plume de la non moins talentueuse conteuse Gigi Bigot. On retrouve quelque chose de joyeux et de facétieux dans l’écriture, une propension au second degré et à s’amuser de ce que l’on propose et des différents degrés de lecture qu’on y enchâsse. Cette série d’historiettes tente de toujours faire un clin d’œil à l’adulte, en même temps qu’elle ne bêtifie pas le propos à hauteur d’enfant.

Trois saynètes donc, trois courtes histoires qui mettent en mouvement, avec simplicité, trois thèmes : la génération, l’amitié, la différence. A chaque fois, le ou la marionnettiste se propose comme l’initiateur ou l’intermédiaire qui introduit une certaine connaissance du monde, la marionnette jouant le rôle de l’être naïf, en découverte. Cela ne manque pas de piquant, d’ailleurs, car le personnage incarné par la marionnette est une vieille biquette à la voix chevrotante et aux petites lunettes de presbyte, dont on pourrait s’attendre à ce qu’elle possède un tantinet plus d’expérience… à quoi l’on voit qu’une marionnette a beau naître déjà âgée, cela ne lui donne pas nécessairement la science infuse.

Dans le rôle de la personne qui manipule, on trouve alternativement soit Maud Gérard, soit Gilles Debenat. A Mirepoix, c’était la première qui accompagnait la marionnette, et qui colorait donc le spectacle de sa propre façon de l’interpréter. La réputation de la compagnie la précède désormais, et on sait qu’elle n’est pas usurpée : aussi n’est-on pas étonné de trouver le même genre de travail de la voix que celui mené pour M. Pepperscott, non plus que de constater que la manipulation est très propre, avec un beau travail de dissociation dans le dialogue presque constant entretenu entre la marionnette et sa marionnettiste.

Sans doute la patte de Maud Gérard se retrouve-t-elle dans une forme de tendresse, qui apparaît notamment dans la délicatesse avec laquelle elle porte le personnage de Molly dans ses bras quand elle a besoin de le déplacer. On ne mettrait pas davantage de douceur à porter un enfant. Cela convient bien à cette marionnette toute couverte de bouclettes que l’on devine soyeuses, et quand à la fin du spectacle la marionnettiste invite qui veut à faire un câlin à Molly, les enfants se pressent certes, mais les adultes ne sont pas en reste.

C’est un spectacle malin, qui joue avec une certaine légèreté sur quelques ressorts de la marionnette pour ouvrir le chemin à des réflexions plus profondes. Quand Molly demande : « Charlie, comment est-ce que je suis née ? », c’est évidemment une invite à ce que la question trouve un écho chez les jeunes spectateurs et spectatrices. En même temps que la réponse donnée ne manque pas de poésie : « Tu es née parce que je t’ai pensée. » On aborde donc la question de la génération de la marionnette, celle de la présence permanente de la marionnettiste derrière la marionnette qui les rend inséparables, ou enfin celle de la confrontation avec une marionnette à gaine pas totalement sympathique, qui fait surgir la question de l’acceptation de l’autre. Peut-être le spectacle cède-t-il parfois à la tentation de l’explication, et se fait un peu didactique là où il aurait pu rester dans l’allusion, et dans une forme de poésie. Il compense cela avec une dose de malice et d’humour, mais selon les sensibilités on regrettera éventuellement ce petit côté leçon de choses.

Il n’en reste pas moins que l’on a affaire ici, comme avec tous les spectacles de la Drolatic Industry, à une œuvre formellement belle, marionnettiquement maîtrisée, qui bénéficie d’une jolie écriture et d’un travail minutieux qui en a poli les moindres détails. Inutile de dire que c’est tout à fait recommandé.

GENERIQUE

Écriture : Gilles Debenat et Maud Gérard, avec la complicité de Gigi Bigot
Mise en scène et interprétation : Gilles Debenat ou Maud Gérard (en alternance)
Construction : Gilles Debenat
Musique : Wenceslas Hervieux

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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