“L’île d’or”, la dernière création du Théâtre du Soleil
Dans le cadre du Festival des Nuits de Fourvière hors les murs, le TNP – Théâtre National Populaire de Villeurbanne – accueille la dernière création collective du Théâtre du Soleil, L’île d’or. Cette pièce dirigée par Ariane Mnouchkine vous plonge dans un voyage au cœur du théâtre et du Japon.
Une ode au cœur du Japon
Le Théâtre du Soleil nous emmène à la découverte d’une île perdue au milieu de l’Océan, à quelques pas du Japon. Un périple au cœur des mœurs japonais, cette culture tant en vogue aujourd’hui et pourtant si mal connue.
Afin de rendre l’immersion la plus complète possible, les comédiens deviennent japonais en arborant des masques, des perruques, des tenues traditionnelles – kimonos, tabis. Ils parlent japonais, prennent un accent japonais, se rendent dans des lieux typiques du Japon et boivent du saké. Le hangar, lieu principal de l’histoire, laisse la place à des sentis (bains publics) ou encore à la devanture de restaurants. La nature même est présente avec ses cerisiers en fleur, le mont Fuji, les grues à couronne rouge (plus communément appelée grue du Japon).
Une apologie du théâtre
Sur cette Ile d’or a lieu un Festival de théâtre qui réunit des troupes du monde entier : Japon, Chine, France, Afrique. Accueillies dans un immense hangar, elles viennent y répéter l’une après l’autre, proposant des spectacles variés. L’ouverture culturelle y est totale et les langues se mêlent les unes aux autres (arabe, chinois, japonais, français).
L’île d’or est régie par un mot d’ordre : mise en abîme. Du théâtre dans du théâtre, des metteurs en scène qui perdent patience, des acteurs qui n’arrivent pas à s’entendre, des moments poétiques, des instants de danse. On parle de l’ennui qu’un spectateur peut ressentir face à une longue pièce, des interdits culturels dans certains pays. Rien n’est laissé de côté et tout est dévoilé, même les trucages sont assumés. Lors d’intermèdes musicaux, les décors évoluent sous les yeux du public, comme cette estrade en bois montée puis démontée à répétition. Des hommes vêtus intégralement de noir déplacent des objets, font tomber de la neige sur les acteurs, mettent en mouvements des appareils mécaniques divers – hélicoptère, dromadaire. Les bruitages sont réalisés sur scène grâce à une bruiteuse qui plonge ses mains dans une bassine pour réaliser les clapotis de l’eau des sent?s.
Une satire politique
L’Ile d’or ne fait pas que parler d’art et de théâtre. Elle aborde également des sujets politiques de manière satirique. Les hommes d’États sont tournés en dérision, ils deviennent des “guignols” rongés par la corruption, la recherche absolue du profit et du pouvoir. Le trame narrative prend racine au moment des élections, cet instant où toutes les âmes les plus viles se réveillent, où tous les coups sont permis. Les candidats mettent en place des plans dans le but de transformer l’île et son port de pêche en un immense lieu attractif construit autour d’un Casino.
Les troupes venues de part le monde racontent les horreurs vécues dans leur pays d’origine. De la guerre en Afghanistan on passe à la répression chinoise à Hong Kong : les manifestations réprimées, les personnes arrêtées sans aucune raison apparente. Xi Junping fait l’objet de critiques avides lors d’un spectacle de marionnettes durant lequel un médecin tente de prévenir des dangers d’une future épidémie mortelle – référence directe au COVID-19.
En mêlant tous ces thèmes, L’Ile d’or présente de manière assez hétéroclite peut-être trop d’éléments divers. On passe d’une scène à l’autre sans qu’il n’y ait toujours de lien et cet ensemble perd parfois son sens. Il en ressort des moments un peu trop longs qui empêche de garder une concentration sur l’ensemble de la pièce. Malgré cela, elle reste une très belle création qui ne manque pas de surprises.
Une pièce sur la maladie et la vieillesse
L’Ile d’or est également une pièce sur la vieillesse, la maladie et la solitude. Elle aborde ces thèmes à travers le personnage d’une femme de 56 ans, Cornelia, atteinte de troubles mentaux qui la plongent dans un délire total. Alors qu’elle passe ses journées dans un hôpital, accompagnée de son soignant, elle pense se trouver au Japon. Ce sont finalement tous ses “rêves” qui apparaissent sur scène. Elle est l’origine même de l’Ile d’or, cet endroit qu’elle crée de toutes parts au fur et à mesure des scènes.
Cornelia est un personnage attachant, perdue dans ses pensées. Sa solitude ressort à travers ses cris désespérés, ses visions. Sa fille l’appelle par moments mais jamais personne ne vient la voir. Elle est seule, tout comme sa mère qui apparaît furtivement lors d’un appel Skype, cette femme de 90 ans atteinte d’Alzheimer qui ne reconnaît plus sa propre fille.
La dernière création du Théâtre du Soleil se présente comme un conte satirique très poétique ayant pour base principale l’imaginaire d’une femme. Il est encore possible de la découvrir au TNP jusqu’au dimanche 26 juin.
Visuel : ©Michèle Laurent