
Les enfants se sont endormis : Daniel Veronese souffle un vent de tempête sur La Mouette de Tchekhov
Avant de revoir avec plaisir “Le développement de la civilisation à venir”, découvert il y a deux ans à la MC93 de Bobigny (notre critique), le théâtre de la Bastille accueille avec le Festival d’Automne une nouvelle création de Daniel Veronese intitulée “Les enfants se sont endormis”. Comme il l’avait fait pour son adaptation de “Maison de poupée” d’Ibsen, le metteur en scène argentin revisite “La Mouette” de Tchekhov en commençant par la débaptiser. En lui conférant ce nouveau titre, il marque sa subjectivité. Son travail n’a cependant rien à voir avec une quelconque infidélité scandaleuse, Veronese suit la trame de la pièce qu’il aime (et ça se voit) en la resserrant un peu. Mais comme tout grand artiste, il en propose sa vision, originale, sanguine et très éloignée des représentations conventionnelles. Il l’éclaire à sa lumière et signe un très beau spectacle.
“La Mouette” est tellement connue, tellement jouée qu’il est admirable de voir un metteur en scène d’aujourd’hui s’en emparer de façon aussi convaincante et peu consensuelle. Le texte de Tchekhov est une merveille. Créée en 1896, la pièce essuie un échec total avant d’être prise en main deux ans plus tard par Stanislavski au Théâtre d’Art de Moscou et de rencontrer cette fois un triomphe. La “Mouette” est devenue un classique mais Veronese, figure de la scène indépendante en Argentine, ne la monte pas ainsi. Il l’actualise, lui donne un sens recevable pour un spectateur contemporain.
La représentation se donne dans un décor simple et pauvre, plus pratique que savant. Juste un pan de mur d’une vilaine couleur verte, deux portes, un mobilier vieillot et dépareillé qui comprend deux divans, un secrétaire et une plus grande table, bancale, au centre. Aucune sophistication ne paraît, toute l’attention est portée sur le jeu concret, épidermique des acteurs, remarquables de précision et d’évidence.
La dépression pesante, les silences interminables sont autants de conventions que balaie catégoriquement le travail de Veronese caractérisée par une vivacité et une énergie sidérantes : ça parle haut et fort, ça braille, on claque les portes, on entre et sort dans la maison comme dans un moulin, on parle les uns sur les autres en se coupant la parole continuellement. Sur scène, c’est la vie même, bouillonnante, humaine. Les personnages de la pièce sont tous des artistes ou en quête de le devenir, avec cette manière qui leur appartient d’éprouver avec excès, de vivre et de sentir de manière hypertrophiée. Leur intimité est ainsi un deuxième théâtre.
Cette “Mouette” n’exclut pas la mélancolie et la brutalité des situations, mettant en scène des crises violentes qui alternent avec de tendres étreintes. Chaque personnage est mis en relief dans sa vérité profonde : le mal-être de Macha (Ana Garibaldi), la fragilité de Nina (Maria Figueras, silhouette idéale dans sa robe blanche et son petit blouson de cuir), détruite toute comme sa vocation de devenir actrice, les rapports conflictuels de Treplev (Fernan Miras) avec sa mère Irina (Maria Onetto) qui entrent en écho avec ceux de Hamlet et Gertrude. Menée à toute allure, la pièce finit sur un point d’orgue magnifique, le retour de Nina dans la demeure et sa dernière rencontre avec Treplev. L’agitation permanente a laissé place à l’apprentissage de la souffrance et du compromis, cruelle désillusion qui se consomme dans la mort.
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