Théâtre
L’Empire des Lumières par Arthur Nauzyciel, Corée-graphie d’une séparation

L’Empire des Lumières par Arthur Nauzyciel, Corée-graphie d’une séparation

07 December 2017 | PAR Elie Petit

Dans son adaptation du roman de L’Empire des Lumières de Kim Young-ha, le metteur en scène Arthur Nauzyciel, développe une intrigue difficile, en coréen dans le texte, mais qui touche très juste pour approcher les problématiques des relations inter-coréennes, dans le champ politique et le champ personnel.

Crédit photos : Philippe Chancel

En entrant dans la nouvelle salle de la MC93, tous les comédiens sont déjà à table. Ensemble oui, mais de quel côté de la frontière, on ne sait pas. Ce que l’on sait, c’est qu’on y chante, guitare à la main, surplombant des photos éparpillées, micro tendus, prêts.

Un des convives fait une annonce. Ce sont les précautions d’usage du théâtre. Tousser avant et pas pendant, éteindre son téléphone et le pourquoi de ces précautions. Elle semblent redondantes, entendues mille fois mais pas de cette manière, intégrées au texte, pour préparer le public à pénétrer dans un monde où rien n’est évident : quel est le comportement à adopter, à suivre scrupuleusement dans la société inconnue que continue celle de Corée du Sud, pour un voisin, espion du Nord.

Les récits se succèdent, d’abord celui d’une camarade morte en 1995, celui des premières allusions dans l’enfance d’un Autre, un voisin jumeau au nord. Celui de la propagande aussi, de chaque côté de la frontière. De jumeaux, il est aussi question avec ces deux personnages qui se déplacent en miroir, dans le même habillement. Tout est trouble et perturbé.

Des écrans géants nous projettent dans le quotidien des personnages, dans leur intimité, leurs salles de bains, leurs discussions impossibles. Dans les dessins animés subliminaux de leur enfance, où l’ennemi est toujours l’autre, l’autre coréen.

Le rythme est lent, les déplacements économes, la poésie jamais loin comme avec cette phrase “Au fond de la jarre Sous la lune d’été Une pieuvre rêve”, plusieurs fois répétée. On rit parfois avec cette histoire de père dont les derniers mots sont “Crains le fisc” ou le concours d’insultes de la femme, jouée par la star coréenne Moon S0-ri, trompant son espion de mari, le comédien Ji Hyun-joon, entrainée dans un jeu d’injures avec ses deux amants de l’après-midi.

On touche du doigt l’atmosphère politique de la Corée du Sud, avec ses groupuscules fascinés par le communisme et l’ouverture de l’observatoire de la réunification, point de vue sur l’autre Corée. La pièce décrypte les jeux de générations et le poids de l’indicible, du secret, des tabous, des souffrances qui en découlent.

On est introduit dans un univers parano, fait de filatures, de malettes. Un monde où les espions n’ouvrent pas le coeur qu’ils ont, il y a longtemps, enfoui et déguisé. Et finissent rejeté par leur propre double vie quand ils sont conduits à la dévoiler, après un rebondissement digne d’un remake du Truman Show version Black Mirror.

L’image finale est frappante, l’espion venu du Nord et sa femme symbolisant par leur corps la frontière, l’impossibilité d’être ensemble quand on a pourtant vécu tant, et que l’on s’est aimé. Nauzyciel livre ici une Corée-Graphie imparable de la séparation, politique et sentimentale.

L’empire des Lumières par Arthurt Nauzyciel
Du 5 au 10 décembre 2017 à la MC93
Avec Ji Hyun-jun, Moon So-ri, Jung Seng-gil, Yang Dong-tak, Yang Savine Yang, Kim Han, Kim Jung-hoon, Lee Hong-jae

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Elie Petit
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