
Le Procès de Médée au Grand Théâtre de Genève
En écho à la Medea de Cherubini actuellement joué dans son enceinte (et dont nous vous avons parlée dernièrement), le Grand Théâtre de Genèvre proposait jeudi 16 avril de dresser « Le Procès de Médée ». Procès bien complexe que celui-ci qui se tient finalement depuis l’Antiquité… Deux grands noms s’affrontaient pour cette occasion : le philosophe Bernard-Henri Lévy et l’avocat Marc Bonnant qui se retrouvaient après d’autres procès fictifs tenus dans le passé, comme celui de Wagner.
Pour ouvrir ce procès, le comédien Alain Carré livre un extrait de la Medea de Pascal Quignard dans lequel l’auteur lie Médée à midi en tant que descendante du Soleil, à la médecine par sa magie et à la méditation, également préméditation, cette faculté de voir à l’avance. «A midi Médée médite» sera d’ailleurs repris plusieurs fois par ses deux compères, tel un refrain. « Médée est la fille du temps arrêté en elle », nous dit-il également, et le temps semble bien s’arrêter ce soir pour ce procès atemporel.
Marc Bonnant prend ensuite la parole. Ce brillantissime orateur déploiera tout son talent dans le rôle de l’accusation, reprenant toute l’histoire de la colchidienne dans un rythme de parole qui laisserait croire que chaque mot prononcé est le fruit d’un texte mûrement préparé et appris avant de nous être livré ce soir. Avant cela, il fera une longue parenthèse sur le rôle de magistrat et sur les thèmes abordés dans son discours en rappelant que l’on est actuellement en pleines élections à Genève. Il nous fera également part d’un message (très probablement fictif) que lui aurait laissé Tobias Richter, le directeur général du Théâtre, lui demandant de ne pas être offensant de quelque manière que ce soit envers qui que ce soit, tout particulièrement en matière de condition de la femme ou bien de l’étranger. Tout cela sur un ton humoristique qui se poursuivra tout au long de sa plaidoirie dans laquelle on sent, outre une maîtrise incontestable de l’art oratoire depuis longtemps relevée par ses pairs, une culture impressionnante et riche. Malgré cela, une certaine humilité se fait entendre dans ce discours : il n’affirme pas tout savoir sur le sujet. Ainsi, lorsqu’il parlera de la pièce d’Anouilh, il dira de cette dernière que c’est le seul texte qui, « à sa connaissance », s’achève sur la mort de Médée. Précaution qu’il eût raison de prendre car il existe au moins un autre texte terminant sur la mort de l’héroïne : la Médée de Jean-Marie-Bernard Clément de 1779 dans laquelle la colchidienne se suicide sur scène après le meurtre de ses enfants.
Si l’homme de loi fait un long discours, il parvient sans mal à happer le public par l’humour, les faits “concrets” ou du moins attestés dans la littérature, quelques digressions et des questions essentielles comme : « Médée s’est-elle dégagée de l’humanité ou l’incarne-t-elle ? » Toutefois, à y regarder dans le détail, il offre à la défense plusieurs arguments sur lesquels rebondir et discuter, tel : « la vengeance est une forme ordinaire de justice. C’est rétablir, remédier. »
Après un tel monologue magistral, l’intervention de Bernard-Henri Lévy est donc très attendue. Qu’est-ce que le philosophe répondra à cela ? La matière est riche, l’adversaire est habile. Comment va-t-il s’en sortir ? Avouons-le : moins bien qu’on aurait pu l’espérer…
Si le débit de parole de Marc Bonnant était assez naturel, même élevé, celui de Bernard-Henri Lévy est très lent, souvent hésitant, se répétant parfois, affirmant quelques petites erreurs, comme la fait que Médée aurait rajeuni Jason alors que les textes anciens parlent généralement du rajeunissement d’AEson, le père de Jason (à moins que le philosophe ne fasse alors référence à un texte spécifique en disant cela). Il appelle également Hypsipyle « Hypsilote » et passe sur cette partie de l’histoire de Jason alors qu’elle aurait si bien servie la défense de Médée. Non pas que sa plaidoirie soit catastrophique, bien sûr, mais une parole plus fluide, plus riche (comme celle de son adversaire), avec des arguments solides et pourquoi pas une parenthèse beaucoup plus philosophique auraient été tellement plus appréciables et efficaces.
Bref, bien que la tâche fût extrêmement difficile, on aurait aimé une défense plus à la hauteur de l’accusation et plus dynamique, le contraste entre les deux discours ne laissant aucun doute sur le vainqueur de la soirée…
© Yunus Durukan
Articles liés
One thought on “Le Procès de Médée au Grand Théâtre de Genève”
Commentaire(s)
Publier un commentaire
Votre adresse email ne sera pas publiée.
Publier un commentaire
Votre adresse email ne sera pas publiée.
Jacques Schmitt
Félicitations pour cet article extrêmement bien observé. Et bravo pour votre connaissance du sujet… La mort de Médée !
Etant un “écouteur” lambda, fan de l’art oratoire, il me suffit de penser que l’art de la parole de Marc Bonnant fait preuve de vérité. Bien joué de relever que je me suis trompé. Et ce ne sera pas a dernière fois…je n’ai pas encore lu tous les livres !
Avec toute mon admiration.
Jacques Schmitt