Opéra
Sleepless, création poétique à Genève

Sleepless, création poétique à Genève

02 April 2022 | PAR Gilles Charlassier

Quelques mois après Berlin, le Grand-Théâtre de Genève met à l’affiche le nouvel opéra de Peter Eötvos, Sleepless, sous la direction du compositeur.

[rating=5]

Peter Eötvös est l’un des plus grands compositeurs de notre temps, et en particulier dans le répertoire lyrique, avec pas moins de douze opus à son catalogue en 2015. Le treizième, Sleepless, a été créé à Berlin en novembre dernier, dans une commande conjointe avec le Grand-Théâtre de Genève, lequel le présente, dans la même production de Kornél Mundruczo, en ce début de printemps. Adaptant la Trilogie de Jon Fosse – réunissant trois courts romans – le livret de Mari Mezei décrit les péripéties d’un couple adolescent, Alida et Asle, en fuite et à la marge de la société, qui, démunis, peinent à trouver le sommeil réparateur de l’intégration à la communauté. Au cours de leur errance dans le froid norvégien, la jeune femme donnera naissance à un enfant, tandis que le jeune homme finira pendu, accusé des meurtres qui jalonnent leur exode.

La partition ciselée, que Peter Eötvös défend lui-même avec soin à la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, multiplie les associations chambristes qui contribuent à tuiler les atmosphères dans un renouvellement original du geste de Britten – plus que ponctuation dramatique, les percussions nourrissent avec délicatesse le chatoiement des textures et des couleurs, sans se réduire à l’imitation impressionniste des éléments, et accompagnent la balance entre angoisse et onirisme du drame.

L’écriture vocale témoigne d’un instinct et d’un métier évidents dans le genre du théâtre musical. Elle réussit, en quelques traits, à identifier et caractériser les personnages, parfaitement investis par les interprètes. Linard Vrielink rend justice au tropisme petergrimesque d’Asle, jusque dans les vulnérabilités de la tessiture du ténor, dans un mélange de rudesse et d’élan affectif, ainsi qu’une émission et une expressivité à fleur de peau. Victoria Randem fait vibrer la sensibilité et les inquiétudes d’Alida, dans un timbre moins à vif et complémentaire.

Katharina Kammerloher restitue l’indifférence égoïste de la Mère avec des accents frustes qui résument le secours rudimentaire de la sage-femme, tandis que l’autre mezzo de la distribution, la vieille femme, revient à une Hanna Schwarz d’une remarquable vérité, dans les moyens comme dans l’incarnation. A la fille de joie campée par Defrise reviennent des pointes de colorature et de légèreté, idiomatiques et assumés avec gourmandise.

Un même soin à la valeur dramatique se retrouve dans les voix masculines. A Jan Martinik incombe la carrure un peu balourde de l’aubergiste. Tomas Tomasson se révèle stupéfiant dans le violence mordante et vindicative de l’homme en noir. Il n’est pas jusqu’aux interventions du passeur par Roman Trekel, du joaillier claironnant de Siyabonga Maqungo et celles d’Asleik par Arttu Kataja qui ne s’avèrent reconnaissables. Ajoutons le sextuor de marins, et, surtout le sextuor vocal féminin, réparti en deux trios dans deux loges côté cour et jardin, qui vient commenter la narration.

Dans la scénographie unique et rotative aux allures de saumon, dessinée par Monika Pormale, la mise en scène de Kornél Mundruczo mêle habileté symbolisation et réalisme pour une évocation poétique transformant un sordide que les décors n’oublient pas cependant, à l’exemple de la chambre de la Mère ou encore des rustres usages du monde portuaire, dans la séquence de miction collective des marins. Les entrailles du poisson, presque saignantes, illustrent autant le dureté de cet univers qu’elles remplissent aussi une sorte fonction catabatique dans le registre psychologique.  Les lumières de Felice Ross participent de ce chant singulier entre rêve et réalité, dans les ellipses du narration fluide et attachante, comme la musique. Une admirable réussite qui, l’on espère, n’achèvera pas son destin sur ces belles représentations genevoises.

Gilles Charlassier

Sleepless, Eötvös, Grand-Théâtre de Genève, 29 mars au 5 avril 2022.

© Dougados Magali

La Fondation d’entreprise Martell dévoile sa nouvelle exposition à Cognac
Festival Mythos à Rennes : coup d’envoi sous le signe de la fusion
Gilles Charlassier

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration