Théâtre
Le couloir des exilés, l’indignation de Marcel Bozonnet

Le couloir des exilés, l’indignation de Marcel Bozonnet

19 March 2013 | PAR Amelie Blaustein Niddam

L’ancien directeur de la Comédie Française Marcel Bozonnet devient le corps du Couloir des exilés, texte de l’anthropologue  Michel Agier et Catherine Portevin. Une longue traversée sur la route qui amène de l’exil au refuge.

Dans un décor très figuratif, une route traverse le public en bi-face. Le chemin est paré de lampadaires nichés dans des parpaings. Marcel Bozonnet entre en scène, il est vêtu d’un ingénieux costume pensé par Renato Bianchi (le directeur des costumes de la Comédie Française). Il est un “réfugié”. Il a la démarche lourde dans un pantalon qui se veut trop grand, le torse égaré dans un pull qu’il rabiboche. Il est l’homme perdu, l’homme apeuré. Cela, l’immense acteur sait faire avec brio. Il a le visage peint en bleu, la volonté est nette de signifier par une couleur non humaine l’universalité. Cela glisse dans une certaine  facilité.

Le comédien dans une proposition pantomimiques se mouvra sur les voix de la chanteuse franco-tunisienne Nawel Ben Kraiem et de l’écrivain afghan Atiq Rahimi, parfois Marcel Bozonnet devient aussi l’une de ces voix.

Que nous disent-elles ?

Il s’agit d’un montage de textes, littéraires,  sociologiques et anthropologiques qui racontent tous la douleur du départ : “mon pays c’est là où je vis”.

Du trajet d’Atiq Rahimi qui a quitté son pays en 1984 à  l’anonymat de tous ceux qui partent, le spectacle agit comme une sombre liste à la Prévert.  On regrette de ne pas entendre d’avantage la voix si forte de l’ancien sociétaire du Français, on regrette aussi de voir défiler des photos, visiblement documentaires, sans en connaitre ni source ni le contexte. On apprend sur le programme qu’elles sont de Sara Prestianni. Elles ont été prises dans les campements de réfugiés à Patras (Grèce), à Rome et à Calais. Cela on ne le sait pas en voyant la pièce. Les archives, projetées ainsi, viennent ici illustrer le propos dans un geste qui provoque la confusion.

On regrette un amalgame dangereux qui cherche à rassembler dans un même mouvement “les pieds noirs” qui quittent l’Algérie après la décolonisation pour rejoindre la France dont ils sont citoyens, «les palestiniens», «les boat people», ou les  “les tunisiens” qui meurent en quittant leur pays en 2011.

“Je suis l’homme déplacé, je suis l’homme universel” peut-on entendre. Il n’y aurait qu’une seule histoire de l’exil à hisser au Panthéon de la souffrance. En niant la comparaison possible, le spectacle nie dans un même élan la spécificité et l’unicité de chaque histoire. Si la douleur de la perte de ses racines est commune à tous, ensuite, le couloir diffère. Il n’est pas un, il ne mène pas toujours à la même issue.

Parler de l’exil est pourtant possible, et Le couloir des exilés y arrive quand  Atiq Raihimi raconte son sordide trajet. On dessine sur une carte fantasmée une courbe qui trace : Turquie-Iles Grecques-Patras-Paris-Angleterre. Là oui, on peut comprendre, incarner, saisir que chaque parcours est unique, qu’aucun témoin ne raconte jamais de la même façon qu’un autre.

Faire spectacle d’un texte d’anthropologie est une idée merveilleuse, elle n’est pas neuve pour autant. Il y a ici, une question de positionnement, aux croisées des chemins du théâtre documentaire, du témoignage et de la fiction, le spectacle se perd en nous plaçant dans une apologie de la peine. Jean-Pierre Bodin avait su trouver le juste équilibre dans Très nombreux chacun seuls en dessinant la souffrance au travail.

Cela est possible, mais le fil est fragile.

 

Visuel © Pascal GELY

 

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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