« Salina » de Laurent Gaudé : dans les pas du roi Tsongor
Résolument féministe, le dernier roman du prix Goncourt 2004 dresse le portrait d’une femme qui s’est battue pour s’affirmer dans une société patriarcale africaine.
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« Laissez-moi vous conter. » C’est par ces mots que pourrait s’ouvrir Salina. Les trois exils tant la forme rappelle celle du conte, de la fable, et des histoires des griots africains. Le fils de Salina, Malaka, qui cherche une sépulture à sa mère, raconte la vie de celle qui l’a élevée : si cette histoire est jugée convaincante par le passeur, sorte de Charon, le corps de la défunte sera accepté sur l’île-cimetière.
Dès l’ouverture, Salina est une exilée. Un cavalier arrive et dépose un paquet duquel sortent les cris d’un nourrisson. Alors que les hyènes se pressent autour de l’enfant, Mamambala récupère finalement l’enfant et décide de l’élever comme sa propre fille. Dans un village qu’elle apprend à connaître, Salina tombe amoureuse d’un des fils du chef. Mais elle devra se marier à l’autre fils, celui qu’elle déteste, qui la violera, la possédera comme on possède un trophée de guerre. Cette humiliation encourage Salina à affirmer ses choix et ses actions pour assumer son amour, rétablir son honneur et laver sa honte.
Le récit de la vie de Salina par son fils transforme l’histoire personnelle et singulière en mythe. La veine mythique déjà explorée dans La Mort du roi Tsongor ressort ici par le portrait d’une héroïne puissante et sauvage, forcée de vivre loin de celui qu’elle aime. Le récit ne peut être qu’incomplet puisque la parole de Malaka s’efface parfois devant l’ignorance de certains moments de la vie de sa mère. Pourtant, chaque action est justifiée, chaque coup porté à l’ennemi expliqué par une vieille rancœur. La beauté de la langue de Laurent Gaudé et la description de certaines scènes proches du fantastique (particulièrement les conditions du récit du fils) font de Salina un roman envoûtant.
« Moi, Malaka, fils élevé dans le désert par une mère qui parlait aux pierres, je vais raconter Salina, la femme aux trois exils. Je vais dire ma mère qui gît là, au fond de la barque, et le monde qui apparaîtra sera fait de poussière et de cris. A l’époque où le monde a accueilli sa vie, il y avait des soleils qui faisaient saigner la peau et un désir de vengeance sauvage. A l’époque où le monde a accueilli sa vie, il y avait une enfant venue de nulle part. Elle est née loin, Salina, si loin que personne ne connaît le lieu exact ni de qui elle fut l’enfant, pas même elle. Moi, Malaka, qui dois faire le récit de sa vie pour que le cimetière décide de s’ouvrir ou pas, je choisis de commencer par ce jour de marche, à l’autre bout de sa vie, car c’est là que tout débute. »
Salina. Les trois exils, Laurent Gaudé, Actes Sud, 160 pages, 16,80 euros
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