La ménagerie de verre au Théâtre de la Commune : la famille Winfield fait son cinéma
La Ménagerie de verre est au départ un scénario qu’a écrit Tennessee Williams pour le cinéma. A la suite du refus de son texte, l’auteur décide d’en faire une adaptation pour le théâtre. Cette pièce, qui va devenir son premier grand succès.est présentée en ce moment au Théâtre de la Commune dans la traduction de Jean-Michel Déprats et mise en scène par Jacques Nichet. Ce dernier a choisi d’estomper la frontière entre théâtre et cinéma : il réhabilite un souhait de l’auteur, celui de monter la pièce en injectant la vidéo.
Tom apparaît sur le plateau avec l’allure négligé d’un jeune homme bohème qui s’accroche à sa liberté. Stéphane Facco dans un costume noir avec un marcel blanc et un long manteau de poète, joue l’insolence et l’insouciance de la jeunesse avec un détachement subtil et ironique. L’acteur campe un marginal ambigu, rebelle, et tendre, qui rêve de fuite, de cinéma et rejette l’éducation rigoriste que lui a inculquée sa mère. C’est ce qu’il nous raconte à travers son récit. De manière rétrospective (il « retourne le sable du temps « ) et grâce au théâtre, il « présente une illusion qui a l’apparence de la vérité », c’est à-dire qu’il refait une partie de sa vie, convoque le passé : il raconte ou réinvente, on ne sait pas, et nous renvoie dans les années 30, dans la maison familiale. De la même manière, Tennessee Williams joue avec ses propres souvenirs dans ce texte qui comporte une large dimension autobiographique. D’ailleurs il partage son vrai patronyme avec son héros. Tennessee s’appelait en fait Thomas.
La scénographie de Philippe Marioge fait l’économie d’un décor réaliste superflu pour proposer un espace simple, dépouillé avec juste deux chaises, un matelas, un chandelier. L’objet principal du décor, habillé par les lumières sombres de Dominique Fortin, est un haut rideau de fil noir qui fait figure de barrière, une limite qui permet aux protagonistes de s’isoler, se séparer ou se rassembler et qu’ils cherchent à dépasser. Le plateau fonctionne comme un espace mental. Derrière, des images projetées permettent d’ouvrir la scène vers un hors scène fugitif, un ailleurs rêvé. Ces vidéos (montées par Christian Guillon et Mathilde Germi) nous font entrer dans l’intériorité, la psychologie des personnages en rendant palpables leurs attentes et leurs fantasmes.
Jacques Nichet porte un regard tendre sur ces êtres fragiles renvoyés à leur solitude et leur inaptitude à vivre dans un monde bousculé par la crise de 29, qui se débattent avec la réalité, la perte des repères et des illusions, Il ne les condamne jamais. Il met même en valeur la dimension comique de la pièce et nous permet de rire de ce drame intime et social. Il joue avec le côté rétro dans les costumes kitchs aux couleurs vives (Catherine Cosme) et dans le traitement de la mère, caricature de la bourgeoise exaspérante bourrée de conventions. Même si le trait est parfois forcé, Luce Mouchel est irrésistible dans une hystérie proche de la folie qui traduit aussi un grand malaise, l’absence du père, la difficulté d’élever seule ses enfants, de leur manifester son amour qui se traduit par de l’étouffement et de l’incompréhension. Elle est émouvante à la fin de la pièce, lorsque son masque tombe, elle s’écroule au sol et fait apparaître ses blessures. On retiendra également la délicatesse d’Agathe Molière au jeu nuancé et complexe dans le rôle de Laura qui collectionne des petits animaux en verre pour combler sa douleur à vivre et rendre plus paisible l’existence. Sa rencontre avec son prétendant (Michaël Abiteboul) est un moment de grâce.
“La Ménagerie de verre”, jusqu’au dimanche 6 décembre, Théâtre de la Commune, Aubervilliers, 2 rue Edouard Poisson, métro ligne 7. 01 48 33 16 16.