Marionnette
Festival de Casteliers : bonne(s) pioche(s) pour la deuxième journée

Festival de Casteliers : bonne(s) pioche(s) pour la deuxième journée

03 March 2023 | PAR Mathieu Dochtermann

Au deuxième jour du festival de Casteliers de Montréal, deux spectacles ont particulièrement retenu l’attention. La boîte à outils de Pythagore de l’Ensemble Paramirabo et de Rachel Warr, d’une part, offre une jolie rencontre entre la marionnette et des musiciens pour une découverte ouverte à tous les publics. Les Veuves Parallèles mises en scène par Claudine Rivest et Sophie Deslauriers, d’autre part, est une proposition onirique à la fois drôle et sombre, une auto-fiction non narrative qui prend appui sur des vêtements marionnettisés et des marionnettes à gaine pour produire un effet d’étrangeté très réussi.

La boîte à outils de Pythagore : la marionnette au concert

Faire se rencontrer musique jouée en direct et marionnette, cela n’a rien de neuf, mais quand c’est bien exécuté le résultat est toujours enthousiasmant. C’est le cas de cette création de l’Ensemble Paramirabo et de Rachel Warr, qui met face-à-face une marionnette à tiges représentant un jeune garçon, et huit musicien.nes de l’Ensemble Paramirabo. Le contact se fait d’abord avec la violoncelliste, puis avec le flûtiste… A chaque fois, la musique agit sur le personnage, tout autant qu’il essaie d’entrer en dialogue avec elle, avec les instruments et les personnes qui en jouent.

Au final, le personnage réussit à inventer une notation bien à lui, très visuelle et colorée, qui lui permet de commencer à communiquer avec l’ensemble. Il va jusqu’à entrer en concurrence avec le chef d’orchestre Benjamin Oliver pour prendre le contrôle de la musique, avant qu’humains et marionnette ne trouvent un terrain d’entente où l’initiative est enfin partagée.

Évidemment, la qualité musicale de ce spectacle est tout à fait remarquable… en même temps qu’on peut se demander si, justement, la chose n’est pas étirée trop loin, dans des endroits très techniques et virtuoses qui échapperont à 90% du public. On suit bien l’aventure de la découverte des différents instruments, la construction d’un langage commun, l’apprivoisement mutuel, mais, une fois le dialogue instauré, le spectacle se dilue un peu dans la complexité du jeu musical. Peut-être le spectacle aurait-il gagné à trouver plus rapidement sa chute, d’autant plus que les séquences de projection vidéo, entre l’univers du rêve et l’invention de la notation en couleurs, sont très belles et auraient constitué un joli aboutissement.

Reste que la manipulation de ce petit bonhomme de 30cm est très agréable : douce, fluide, avec des transitions qui ne s’embarrassent pas de réalisme puisque le personnage semble flotter dans les airs – où le souffle des instruments à vent le cueille parfois au vol. La marionnette, qui semble faite de bois, a une très jolie facture, avec des traits de visage et un regard très expressifs malgré le caractère un peu naïf.

C’est une proposition exigeante, bien rythmée, suffisamment surprenante pour bien tenir sur sa longueur. Un spectacle dont on peut témoigner qu’il captive les enfants, et qui est tout à fait agréable à suivre à hauteur d’adulte.

Les Veuves Parallèles : marionnettes & étrangeté

Pendant que le public entre, une femme attend assise sur la scène. Pétrifiée dans une attitude très rigide, vêtue d’une robe à la coupe désuète, son visage seul est mobile, et exprime tour à tour la surprise, l’inquiétude, l’anxiété. Quand retentit l’annonce invitant le public à éteindre les cellulaires, elle roule des yeux affolés, comme si elle entendait aussi cette voix, qui semble être pour elle une présence fantomatique. Quand le noir se fait, on découvre un personnage en conflit avec elle-même : ses mains et son visage ont des visées antagoniques, la tête semble otage de mains qui lui imposent sa position, son expression, sa nourriture…

Ce personnage initial instaure d’emblée une atmosphère d’étrangeté, où l’humain est fragmenté et dissocié, les objets plus ou moins vivants – la robe qui arpente la scène à la recherche de la tête qui a finalement réussi à s’enfuir est une vision assez impressionnante -, le ton à mi-chemin entre l’humour noir et l’épouvante. Ce spectacle muet offre de multiples points d’entrée et parsème des indices, mais n’offre pas de clés définitives ou de sens fermé. A écouter ou à lire les explications de la genèse du spectacle, on comprend mieux certaines des images et des personnages, mais on reste libre, pendant le spectacle, de construire un tout autre sens à partir des symboles offerts : le rituel du repas, la photo de famille, la thématique de la nourriture, la mort, le mariage, la présence récurrente d’un couteau, les corps incomplets… sont toutes des choses qui charrient un univers très riche, qui ne manquera pas de trouver un écho chez les spectateur.rices.

L’une des grandes forces de la proposition, qui pourrait vite être déroutante, est son interprétation : Claudine Rivest a une présence scénique indéniable, en même temps qu’un talent certain pour la manipulation et la dissociation. Comme actrice, elle est extrêmement expressive, avec une mobilité de visage et une palette d’expressions qui lui permettent un répertoire expressif large, alors même qu’elle incarne un – ou plusieurs – personnages muets. Dès la scène d’exposition son talent pour dissocier son jeu corporel est manifeste : la dualité entre les mains, dotée de leur volonté propre, et la tête, qui semble être leur victime, saute aux yeux. La même maîtrise se retrouve dans une scène mémorable où la tête de la manipulatrice affleurant sur le plateau d’une table fait l’objet d’une chicanerie entre deux marionnettes à gaine, l’une voulant la gaver tandis que l’autre tente de l’empêcher. Le conflit sera résolu dans une explosion de violence qui ne messied pas à ces marionnettes descendues de Guignol et de Polichinelle… le tout sous le regard paniqué de la comédienne qui joue encore une fois à être l’otage d’une chose qu’elle anime.

Au final, le fil conducteur entre ces images étranges et ces personnages dont on ne sait quels rapports ils entretiennent entre eux est peut-être la musique et le musicien lui-même. Présent à jardin du début à la fin de la représentation, il joue tout aussi bien des musiques de sa composition que des musiques traditionnelles – du Québec ou de la tradition klezmer – qu’il bruite certains événements qui vont venir perturber le personnage et contribuer à construire l’impression qu’il n’a décidément pas toute sa tête : son du vol d’une mouche, bruits de pas qui font écho aux déplacements du personnages et se prolongent au-delà de ses mouvements…

Ce spectacle habité, étrange, quelque part entre le rêve halluciné et la folie douce, a une identité très forte : parti pris de ne pas proposer un fil narratif, travail plastique sur des marionnettes de taille assez modeste à l’apparence triste et fade, thématiques inquiétantes bordant sur le morbide, échos du passé… C’est un spectacle d’atmosphère, dans lequel il faut consentir à se laisser happer. Mais, à condition qu’on lâche prise, il propose un voyage singulier dans une histoire familiale revisitée d’une façon peu banale…

Une proposition originale qu’on aurait plaisir à voir sur les scènes françaises !

GENERIQUE

LA BOITE A OUTILS DE PYTHAGORE
Co-créateur et compositeur : Benjamin Oliver (Southampton University, UK)
Co-créatrice et metteure en scène : Rachel Warr (Dotted Line Theatre, UK)
Interprétation : Paramirabo
Flûtes : Jeffrey Stonehouse
Clarinettes : Charlotte Layec
Violon : Hubert Brizard
Violoncelle : Viviana Gosselin
Synthétiseur : Daniel Áñes García
Percussion : David Therrien Brongo
Saxophone : Louis-Philippe Bonin
Cor anglais : Emily Burt
Direction (chef d’orchestre) : Benjamin Oliver
Concepteur de la marionnette : Jan Zalud, en collaboration avec Rachel Warr
Marionnettiste : Gilbert Taylor
Directrice de production : Florence Tremblay

LES VEUVES PARALLELES
Création, conception et interprétation : Claudine Rivest
Mise en scène : Sophie Deslauriers et Claudine Rivest
Musique: Isaac Beaudet-Lefèbvre
Éclairages : Nancy Longchamp
Collaboration à la conception des costumes marionnettiques : Sylvie Baillargeon
Collaboration à la conception de la scénographie : Paul Foresto
Assistance à la conception des marionnettes : Sophie Deslauriers
Conseiller à la manipulation des marionnettes à gaine : Noë Cropsal
Conseillère au mouvement dramaturgique : Olivia Faye Lathuillière
Coproduction : Les Sages Fous

Photo : (c) Sylvie-Ann Paré

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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