Théâtre
“Joséphine la cantatrice” revisitée depuis la valise de Kafka

“Joséphine la cantatrice” revisitée depuis la valise de Kafka

13 December 2018 | PAR Mathieu Dochtermann

Jospéhine la Cantatrice est un spectacle de théâtre programmé à l’Atalante en novembre, puis présenté à nouveau en décembre dans le cadre du Pyka Puppet Estival. Le texte est celui de la nouvelle que Franz Kafka achevé juste avant son décès, et déjà porté plusieurs fois à la scène. Dans cette proposition de la cie Le Pilier des Anges, Grégoire Callies flirte avec la marionnette immergée dans une très belle scénographie. Chloé Chevalier interprète un texte beau mais difficile, et tente de le rendre audible.

 

Joséphine la cantatrice ou le peuple des souris, est le dernier récit de Franz Kafka. Il y dépeint le destin singulier d’une souris, qui se distingue au milieu de son peuple grouillant, besogneux, modeste, “précocement vieux”. Cette souris, c’est la Joséphine éponyme, qui prétend offrir à ses congénères une forme de chant lyrique là où ils ne peuvent que couiner et siffler. D’ailleurs, ce qui rend les sifflements de Joséphine si particuliers, et les élève au rang d’art, n’est pas clair.

Derrière cette métaphore animale se cache évidemment une réflexion de ce qui fait art, et sur le pouvoir de l’artiste et son influence sur ses contemporains. C’est un très beau texte, qui est marqué de la maîtrise mais aussi de la complexité de Kafka: pensé pour être une nouvelle, donc lue, il déploie une langue qui exige une concentration particulière de la part du spectateur quand elle est proférée sur une scène de théâtre.

Pour rendre sensible cette histoire, qui a la forme du récit, le choix est fait ici d’un dispositif à la fois assez sobre, ingénieux, et indéniablement esthétique. Des piles de valises s’entassent sur scène, qui peuvent servir comme de petits castelets à des figurines de souris – y compris à une marionnette de Joséphine, qui ne sera presque pas animée, et restera, statique, encadrée par des rideaux de velours rouge sur une sorte de petites scène de théâtre contenue dans l’une des valises. Le coup de chapeau est clair: l’histoire veut que le manuscrit de la nouvelle ait été remis, justement, dans une valise. A fond de scène, le cadre d’une fenêtre est appliqué au mur. Ca et là, des pièges à souris jonchent la scène.

Au milieu de ce dispositif, l’unique interprète, Chloé Chevalier, porte la lourde tâche d’animer oralement un texte modelé pour l’écrit. Narratrice portant cependant une parole à la première personne – le “nous” impersonnel du peuple des souris – elle peut aussi très brièvement animer la marionnette de Joséphine. La comédienne restitue le texte avec une très belle précision, tout en faisant vivre la scène en décortiquant des noix ou en désarmant des pièges – aussi bien qu’elle ouvre les valises et révèle petit à petit la présence des figurines de souris.

Pour faire vivre des scènes qui deviendraient rapidement trop statiques, des projections vidéo viennent animer les valises, et s’inscrire au milieu du cadre de la fenêtre. Mélange de films d’animation montrant les figurines de souris dans certaines occupations, et de films d’archive montrant des humains souvent livrés à des activités belliqueuses, ces projections font partie intégrante de la dramaturgie, au sens où elle appuient et nuancent le sens du texte et sa coloration émotionnelle. Des bandes sonores enregistrées, particulièrement des airs d’opéra lyrique, viennent également vivifier la pièce.

L’esthétique visuelle de l’ensemble est aussi indéniable que réussie. L’irruption graduelle des jolies figurines de souris, la mise en lumière très chaude bien que parcimonieuse, le travail fait sur les films d’animation, constituent un très beau support visuel. Le choix, pertinent, a été fait de ne pas tenter une approche illustrative, et les collisions que cela produit entre le texte déclamé et les actions sur scène sont bienvenues pour réveiller autant que pour révéler. De même, traduire les sifflements de Joséphine par des enregistrements de véritable chant lyrique donne un effet de décalage intéressant.

Cependant, il faut avouer que le texte est difficile à suivre, et que l’absence d’illustration n’aide pas à s’y repérer. Les 50 minutes que durent le spectacle demandent un effort constant du spectateur. Selon que l’on défend la position selon laquelle le théâtre ne doit pas être confortable et doit demander un effort actif du spectateur, ou l’inverse, on en sera diversement irrité. Il n’en reste pas moins qu’il nous semble que le spectacle, même agrémenté de ses films, reste encore trop peu rythmé et trop statique: il n’est pas facile de rester investi de bout en bout, malgré les efforts de Chloé Chevalier, dont l’interprétation mériterait peut-être davantage d’amplitude dans les ruptures.

Il n’en reste pas moins qu’il s’agit là d’un très beau texte et d’une très belle proposition esthétique, qui méritent d’être découverts. Joséphine la cantatrice sera notamment présentée les 17, 18 et 19 mai au théâtre Roublot (Fontenay-sous-Bois, 93) dans le cadre de la Biennale Internationale des Arts de la Marionnette organisée par le TMP – Mouffetard.

 

AUTEUR Franz Kafka

MISE EN SCÈNE Grégoire Callies

ASSISTÉ PAR Hélène Hamon

JEU Chloé Chevalier

SCÉNOGRAPHIE Jean-Baptiste Manessier (assisté d’Eric Jolivet)

VIDÉO Véronique Caye

LUMIÈRES Jean-Maurice Dutriaux

BANDE SON Théo Fisher

MUSIQUE Emilio Callies

Visuels: © Véronique Caye

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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