Opéra
Les châtiments, création kafkaïenne à Dijon

Les châtiments, création kafkaïenne à Dijon

14 February 2020 | PAR Gilles Charlassier

Compositeur en résidence à l’Opéra de Dijon depuis 2010, Brice Pauset présente une nouvelle commande inspirée par Kafka, Les châtiments, sur une adaptation de Stephen Sazio et une mise en scène de David Lescot, et sous la baguette d’Emilio Pomarico.

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Brice Pauset et l’Opéra de Dijon, c’est une histoire de fidélité. En résidence dans la maison bourguignonne depuis 2010, où il a, entre autres, proposé une adaptation du Ring de Wagner lors du bicentenaire, le compositeur français présente en ce mois de février un opéra inspiré par Kafka, Les châtiments. Avec la complicité de Stephen Sazio, qui a écrit le livret, il a adapté trois récits de l’écrivain tchèque : Le verdict, La métamorphose et La colonie pénitentiaire, comme trois variations autour de la condamnation et de la punition. L’idée de juxtaposer et relier des histoires différentes n’est pas nouvelle – Gérard Pesson a suivi le même procédé pour Trois contes à Lille – même si l’accent est davantage mis ici sur les déclinations d’un seul thème. De même, ce n’est pas le premier opéra autour de Kafka – Philippe Manoury s’était penché sur Le procès pour écrire K il y a une vingtaine d’années pour Bastille.

Au diapason d’une écriture musicale parfois aux confins du chant et du son, le spectacle réglé par David Lescot privilégie une concentration que l’on peut qualifier d’intimiste. Les deux premiers drames se déroulent sur une scène réduite à un intérieur domestique, aux teintes pâles, sinon blafardes, dessiné par Alwyne de Dardel. Le premier argument est figé dans une chambre, tandis que La métamorphose passe de la chambre de Gregor au séjour des Samsa, au gré des séquences. Pour être efficace, et en consonance avec le caractère de l’intrigue, le dispositif n’en reste pas moins quelque peu statique, impression sans doute accentuée par les raffinements murmurés du tamis orchestral qui sert de trame à une déclamation chantée passablement monochrome.

Après l’entracte, la configuration du plateau est transformée pour faire place à l’immense machine de torture, baignée dans les lumières mordorées de Paul Beaureilles, les stupéfiantes illusions de la magie d’Abdul Afarez, et un très long solo de l’officier, de plus d’une demi-heure, au croisement du chant et de la parole. Si la performance investie d’Allen Boxer, baryton américain également au premier plan dans les deux autres volets, en Gregor et Georg, se révèle très exigeante, le résultat pâtit d’un défaut de variété et de lyrisme qui est sans doute aussi celui de l’esthétique de cette troisième pièce, sinon de l’oeuvre dans son ensemble.

Le reste de la distribution manifeste également un appréciable engagement, de Michael Gniffke, au fil des parties successives, le père, Monsieur Samsa et le voyageur ; Emma Posman, Frieda et Grete à qui revient, dans La métamorphose, des aigus hystériques et stratosphériques, moment de virtuosité peut-être un peu gratuite, mais indéniablement jubilatoire au sein d’une écriture qui contrôle sans doute un peu trop ses effets ; Helena Köhne en Madame Samsa, et le solide Ugo Rabec en gérant et soldat. Les effectifs du choeur de l’Opéra de Dijon fournissent les interventions du madrigal, de la bonne et du trio de locataires, aux allures de docteurs hébraïques de la Salomé de Strauss – une des citations du répertoire les plus saillantes d’une partition qui témoigne d’une plume éminemment cultivée, et que défend Emilio Pomarico, à la tête de l’Orchestre Dijon Bourgogne. A défaut de se garantir une place dans le répertoire lyrique contemporain, saluons au moins l’initiative courageuse de Dijon à l’endroit de la création musicale.

Gilles Charlassier

Les châtiments, Pauset, mise en scène : David Lescot, Opéra de Dijon, février 2020

©Gilles Abegg – Opéra de Dijon

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