
“Baby Macbeth”: Shakespeare mis à portée de tous les publics
Le dimanche 9 décembre, l’Atalante, dans le cadre du Pyka Puppet Estival, permettait à Agnès Limbos de la cie Gare Centrale de présenter son Baby Macbeth. Ce spectacle est une forme courte (25mn) destinée aux publics familiaux dès 12 mois. Mélange de théâtre d’objets, de marionnettes et d’acteur, avec le soutien d’une musique jouée au clavier en direct, il s’agit de revisiter – et de s’amuser – de quelques unes des plus célèbres pièces de Shakespeare. Nous pouvons en témoigner : les enfants adorent.
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Agnès Limbos, c’est un nom qui est intimement associé au théâtre d’objets. Cette grande dame, tout autant interprète que metteuse en scène ou autrice, fut l’une des pionnières du genre, qui consiste à s’emparer d’objets « pauvres », tirés du quotidien, pour leur faire porter une fonction dramaturgique sur scène.
Elle met ici ses années d’expérience au service des plus jeunes spectateurs, avec l’ambition de leur rendre sensible quelque chose de Shakespeare. Seule en scène, elle s’appuie effectivement sur des objets – souvent des jouets de récupération, tel son peuple de cerfs et de biches incarnant les esprits des bois du Songe d’une nuit d’été – mais également des marionnettes sur table rudimentaires – morceaux de tissus dans Roméo et Juliette où une boule figure la tête, le reste du corps s’évasant en jupe.
En vérité, les techniques employées sont riches et multiples, avec des basculements d’adresse, une implication des bébés spectateurs assemblés autour du dispositif, un passage en corps castelet, l’apparition d’une marionnette à doigt… Ce qui compte est l’action, et l’émotion, plus encore que de porter un hypothétique récit. Au service de cette démarche, toutes les techniques peuvent être convoquées, pour être presque aussitôt congédiées : ce qui fait continuité, c’est l’interprète, à la présence forte, la scénographie, et l’intention.
L’intention, c’est celle de condenser l’essence de quelques unes des plus fameuses pièces du grand dramaturge, pour en retenir la quintessence : non seulement le squelette nu de la proposition dramaturgique, mais également l’ambiance. Sombre et violente pour Macbeth, tragique pour Le Roi Lear, passionnée pour Roméo et Juliette, féérique et bouffonne pour le Songe… A chaque fois, la musique, la lumière, l’interprétation, les signes visibles posés sur la table, contribuent à emmener les jeunes spectateurs dans un univers émotionnel différent. L’intrigue est en elle-même tellement secondaire qu’Agnès Limbos joue presque exclusivement en anglais : inutile de dire que le langage visuel prime dans la restitution de ces pièces. Le jeune public entend d’ailleurs très bien les messages.
La scénographie est elle aussi tournée vers les jeunes enfants : dans une disposition d’amphithéâtre en demi-cercle, ils se retrouvent assis dans une sorte de gradin en chaises hautes, en face d’une table de manipulation en demie-lune. Dans la table même sont incorporés cinq sièges pouvant accueillir de très jeunes enfants, qui, affublés de couronnes et autres vêtements d’apparat, seront sollicités à différents moments du spectacle, prenant le rôle de complices et de témoins. Les adultes trouvent leur place derrière le rang de chaises hautes, et assis autour de la table. Face à ce public, Agnès Limbos se tient seule, et utilise la profondeur du « plateau » pour faire la plupart de ses effets d’apparition-disparition depuis les dessous de la table.
Son interprétation tient le spectacle, en plus d’une écriture indéniablement réussie. En multipliant les clins d’oeil aux adultes – en soupirant bruyamment « Shakespeare ! » à chaque revirement tragique – et les signes codés – les deux marionnettes de Roméo et Juliette qui, à la fin de la scène du balcon, viennent se réfugier dans son décolleté pour s’y agiter avec énergie – la trame narrative arrive à garder tous les spectateurs amusés et en éveil : aux petits les onomatopées, aux adultes les gags, à tous la poésie visuelle. Mais la proposition tient surtout, au final, aux talents de l’interprète, qui s’adapte à son public, improvise sur sa trame de base en fonction de ses réactions, joue en permanence au bord de l’imprévu invité à la table sous forme des cinq petits rois et reines installés au coeur du dispositif. Aussi bonne dans l’exagération bouffonne que dans des nuances plus tendres, avec un impeccable sens du rythme, Agnès Limbos tient son public en haleine de bout en bout.
Et la formule fonctionne redoutablement bien : les enfants, même en bas âge, restent médusés ou goguenards devant ces scènes qui défilent à toute allure, pris par l’enchaînement des images et des sons. Baby Macbeth a reçu en 2018 le Prix de la Critique 2018 (Belgique) dans la catégorie “meilleur spectacle jeune public”, et ce n’est pas par hasard : à la fois poétique et ludique, le spectacle est un bijou d’équilibre et d’intelligence.
La destinée de Baby Macbeth est internationale : prochaine représentation en France à Gauchy le 28 décembre, mais ensuite à Namur (Belgique) le 5 janvier, puis à Lausanne (Suisse) du 2 au 10 mars 2019.
Quant au Pyka Puppet Estival, il se poursuivra jusqu’au 21 décembre, avec des spectacles de très grande qualité.
de et par Agnès Limbos
Compositions et accompagnement au piano : Joachim Caffonnette
Accompagnement dramaturgique : Sabine Durand
Création lumière : Jean Jacques Deneumoustier
Scénographie : Sophie Carlier
Costumes et chapeaux : Françoise Colpé
Construction : Alexandre Herman
Régie en alternance : Nicolas Thill, Joël Bosmans
Visuels : © Alice Piemme