Théâtre
Je suis venue, d’Israël Galvan et Gaspard Delanoë : une performance dansée aussi clownesque que féroce

Je suis venue, d’Israël Galvan et Gaspard Delanoë : une performance dansée aussi clownesque que féroce

18 October 2011 | PAR Liane Masson

Conçu et écrit par Gaspard Delanoë (artiste plasticien), chorégraphié par le roi du flamenco contemporain Israël Galván, et dansé par l’une de ses élèves, Yalda Younes, Je suis venue est un spectacle aussi étonnant que puissant. Cette fausse conférence politique qui dérive en performance flamenco se joue jusqu’au 21 octobre à La maison des métallos. Une pièce férocement drôle, dansée par une interprète de talent.


A l’origine de Je suis venue : une idée et un texte de Gaspard Delanoë, artiste et activiste français qui sévit habituellement dans le milieu des arts plastiques. Israël Galván, chorégraphe et danseur espagnol considéré comme le Nijinski du flamenco, en a signé la partition chorégraphique. Et c’est la danseuse libanaise Yalda Younes, talentueuse élève du maître andalou, qui se charge de l’interpréter, aux côtés de Gaspard Delanoë lui-même. Trois nationalités, trois univers artistiques, trois fortes personnalités réunies pour créer un objet surprenant et percutant.

Tout commence dans le noir, ou presque. Derrière leurs pupitres installés sur une estrade en fond de scène, deux orateurs se tiennent debout, quasiment immobiles, l’air grave, officiel. Seuls leurs visages sont éclairés par un halo de lumière blanche, ainsi qu’une carte géographique affichée derrière eux, sur laquelle on ne reconnaît aucune géographie précise. Les noms inscrits ont été barrés, mais une indication reste visible : la Mer Méditerranée. Elle (Yalda Younes) s’exprime en arabe, sérieusement, tranquillement. Elle annonce qu’elle est venue exposer un plan de paix. Lui (Gaspard Delanoë) traduit en français, sur le même ton monocorde et formel. Leurs voix résonnent solennellement dans les micros. Il semblerait que nous sommes partis pour assister à une étrange conférence politique.

La politique est en effet le sujet de la pièce, ou plus précisément sa dimension spectaculaire. Et si les politiciens se cachent souvent derrière des mises en scène faciles pour convaincre, Gaspard Delanoë retourne la situation, et dénonce cette spectacularité hypocrite en la pastichant férocement sur la scène. Dans le plan de paix énoncé par une Yalda Younes impassible, on repère rapidement quelques absurdités de plus en plus drôles. Elle prône en effet la constitution d’un nouvel État qui prendrait exemple sur la Belgique, où les trois langues officielles seraient l’arabe, l’hébreu et le wallon, où le service militaire serait obligatoire pour les filles, les garçons et les transsexuels, et où la composition du houmous ainsi que les horaires des siestes seraient précisément définies par la loi. Et lorsqu’elle évoque la création d’un “Ministère de l’identité approximative” et d’un “Ministère de l’identité douteuse”, on rit à pleins poumons en même temps que l’on s’interroge sérieusement sur la politique d’aujourd’hui. A travers ce discours parodique, aussi drôle que cinglant, Gaspard Delanoë frappe juste, et frappe fort. Yalda Younes, impeccable en femme politique austère et mesurée, l’incarne à la perfection.

Puis la voilà qui quitte son estrade, dénoue son stricte chignon, et s’avance sur le devant du plateau, où une plateforme blanche et rectangulaire s’éclaire soudain. “Qu’il me soit permis à présent de l’exprimer plus clairement” lance-t-elle avant de remplacer les mots par les gestes. Habillée d’un chic costume noir et de chaussures orange qui claquent sur le sol, elle se met à danser. Et l’on repère vite qu’elle s’est formée auprès d’Israël Galván. Reprenant la grammaire caractéristique du maître (mouvements exécutés de profil, mains tendues comme des flèches, puissant ancrage dans le sol) tout en se l’appropriant, elle se lance dans une performance dansée aussi profonde que décalée, avec pour seule musique, le son de ses talons qui jouent des percussions.

Elle a une grande présence, une tenue fière. Ses gestes, précis, arrêtés, sont aussi vifs que de violents coups de couteaux. Sa danse a en effet quelque chose de tranchant, de martial, de viril, mais elle comporte aussi une part de ridicule, tout comme la politique d’ailleurs. A ses côtés, Gaspard Delanoë continue de traduire. Il traduit des gestes qui ne veulent rien dire en phrases absurdes toujours plus surprenantes. Et il se met lui aussi à danser, parodiant ses attitudes, copiant son air grave et majestueux. Les mouvements maladroits qu’il exécute avec le plus grand sérieux nous arrachent plusieurs fous rires, tandis que la jeune femme, toujours imperturbable, continue de danser avec une concentration extrême, la rendant finalement aussi risible que lui. Car dans cette fausse conférence, qui glisse vers un solo flamenco pour finalement se transformer en un duo clownesque, rien n’est vraiment à prendre au sérieux. Sauf évidemment la critique du monde politique actuel, affirmée avec force. Car bien qu’enrobé dans une forme pastiche et couronné d’un ton humoristique mordant, le propos est plus féroce que jamais.

 


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Liane Masson

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