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L’artiste Katia Kameli revient en force à Paris avec ‘Hier revient et je l’entends’, une large exposition présentée dans deux espaces

L’artiste Katia Kameli revient en force à Paris avec ‘Hier revient et je l’entends’, une large exposition présentée dans deux espaces

19 January 2023 | PAR Melissa Chemam

La nouvelle exposition de l’artiste franco-algérienne investit deux lieux : l’ICI – Institut des Cultures d’Islam, Paris 18e, et à Bétonsalon, Paris 13e, du 19 janvier au 16 avril 2023. Intitulée ‘Hier revient et je l’entends’, elle présente une grande partie des projets de l’artiste, revient sur son histoire et sa démarche, au sein de lieux qui lui corresponde profondément.

Ce qui frappe d’emblée avec l’oeuvre multiforme et extrêmement contemporaine de Katia Kameli c’est son amplitude et son audace : elle n’hésite pas à s’attaquer à des images et sujets difficiles, et elle sait se saisir de nouveaux médiums et nouvelles techniques pour le faire.

Connue pour son travail vidéo et filming, représenté dès la première salle de cette double exposition à l’ICI, par le film ‘Blédi’, et dans les deux salles de Bétonsalon, présentant son fameux ‘Roman algérien’, Katia Kameli nous offre également avec ce projet des œuvres photographiques, des dessins, de la sculpture musicale, une tapisserie, des textes et un merveilleux travail d’archives autour des fables et contes indiens et perses qui ont inspiré les plus grands.

‘Hier revient et je l’entends’ fonctionne ainsi comme une forme de quasi rétrospective, tout en présentant des oeuvres nouvelles, et surtout grand nombre de travail collaboratifs, avec des tisseuses, conteuses, etc.

L’ensemble révèle la puissance et la poésie d’une oeuvre qui a pris une ampleur considérable, tout en gardant un caractère expérimentale et avant-gardiste.

Ce qui compte avant tout pour Katia, c’est de revenir à l’histoire, d’où ses emprunts répétés à l’autrice et première réalisatrice algérienne Assia Djebar, qui l’inspire depuis ses débuts. Il est important pour elle “de ne pas oublier l’histoire”, nous dit-elle lors de la visite presse de mercredi 18 janvier.

Partie I – Volet 1 – L’ICI, rue Léon – de Marseille à la Perse en passant par Alger

Dans les premières salles de l’ICI sont présentés deux films et une photographe symbolique. Le premier, ‘Bledi’ (réalisé entre 2002 et 04) est l’un de ses premiers films sur l’Algérie, dont elle voulait montrer le nouveau visage, à la sortie de la guerre civile des années 1999. Le père de l’artiste y habite alors, et Katia, qui a passé presque toutes ses vacances chez lui depuis le divorce de ses parents au début des années 1980, est cette fois de retour avec une caméra. “Il y avait alors tellement peu d’images, de ce pays, de cette guerre”, confie-t-elle. La communication est longtemps restée sporadique. Mon film a été le fruit d’une démarche pour comprendre et pour produire des images, tout en lançant un questionnement sur ces images.

Katia a voyagé en bateau depuis Marseille pour filmer à Alger. Dans ce projet se révèlent certains des éléments fondateurs de son approche artistique : le rapport à sa double culture, le féminisme, le rapport à l’image mais aussi au son, dont la musique, et notamment le raï.

Il s’agit d’un “oeuvre fondatrice” pour l’artiste, selon les curatrices, Émilie Renard pour Bétonsalon et Bérénice Saliou pour l’ICI, que Katia connaît depuis plus de 20 ans, et qui a été une des premières à exposer ses oeuvres. “Tout était déjà là dans ce film”, admet aussi l’artiste.

En face de l’écran, le public peut également voir des dessins de l’artiste, un possible “storyboard” du film en devenir, qu’elle a réalisé pour guider son projet, préférant un support visual que textuel.

Dans la même pièce se trouve également une photographie, datant de 2010, ‘Friday’, qui montre une famille algérienne un jour de détente, à la plage près de Tipaza, où de jeunes Algériens côtoient des grand-mères et des enfants. “Encore une fois, ici, plusieurs strates de mon travail sont rassemblées”, selon Katia, “dont la question du tiers espace”, l’ombre de la maison coloniale en arrière plan, et l’idée de produire que images que ces personnages produiraient potentiellement eux-mêmes, dans lesquelles ils se reconnaissent en tout cas, ne se sentent ni manipulés ni trahis.

Dans la pièce suivant est présenté le film ‘Le Storyteller’ (datant de 2012), réalisé pour la biennale de Marrakech, dans un théâtre en place publique de la ville. Katia y a rencontré le conteur Azalia, qui raconte des films de Bollywood en public à des foules passionnées. “J’ai voulu le retrouver”, dit-elle, et on a tourné au théâtre royal de Marrakech, en arabe dialectal. Le film de 11 minutes est un montage à partir des trois heures de tournage réalisé sur place.

La quatrième pièce nous fait voyager dans une dimension complètement différente. Inspiré par le texte perse “La Conférence des oiseaux”, Katia Kameli a imaginé une série d’aquarelles et de sculptures dites musicales, qui peuvent être jouées comme des instruments à vent. Ce “Cantique des oiseaux” revient sur une partie du texte où la huppe appelle tous les oiseaux du monde pour leur annoncer l’existence du Royaume des oiseaux dirigé par un Simôrgh. Elle leur demande de la suivre dans un voyage à faire ensemble… Nombre se défilent et au final une trentaine d’oiseaux y participent… Pour comprendre seulement que, tel ce Simôrgh qui en perse signifie “30 oiseaux”, ils se retrouvent finalement face à eux-mêmes…

“J’avais envie de fabriquer des oiseaux en terre”, explique Katia Kameli. “Et j’ai ainsi travaillé avec Marie Picard, céramiste musicale, qui sait faire chanter la terre”. Ces sculptures sont complétées par un films, et des aquarelles géantes. “Toutes ces formes étaient nouvelles pour moi”, poursuit-elle. J’ai travaillé sur ce projet au début du confinement, puis les sculptures musicales qui « chantent ” ont été jouées par des flûtistes pour le film, tourné à Barbès dans le petit et secret jardin partagé “l’Univert”.

Une seconde version de la vidéo avec danseurs et danseuses est en cours de réalisation.

Partie I – Volet 2 – L’ICI, Rue Stephenson – Histoires universelles

La visite se poursuit dans le second bâtiment de l’ICI. Au RDC est présentée ‘Stream of stories’, une série sur laquelle Katia travaille depuis 2015, comprenant plusieurs chapitres et basé sur de nombreuses recherches. L’inspiration : les métamorphoses des fables de Kalîla wa Dimna, traduites de langues indiennes au perse puis en anglais, qui ont inspiré, entre autres, en France, Jean de La Fontaine.

Au centre de la pièce, une oeuvre tissée, en tuft, conçue en col­la­bo­ra­tion avec l’artiste-tex­tile, Manon Daviet, et l’aide du CNAP.

“J’ai identifié une quinzaine de fables communes”, raconte l’artiste, “venant d’Inde, à partir d’un texte que les Perses se sont mis en quête de retrouver, ramener en Perse, et traduire. Puis lorsque les arabes envahissent la Perse, ils s’intéressent aussi au texte, le traduisent en arabe. Il est considéré comme l’ancêtre des 1001 nuits, et a ensuite été la sources de Fables devenues incontournables en Europe, dont celles d’Anderson et celles Jean de la Fontaine.”

La tapisserie est accompagnée d’une pièce sonore, réalisée avec l’actrice et metteuse en scène Clara Chabalier, avec laquelle elle a travaillé en 2022. Elle est nourrie de ces fables, et lue par l’autrice Chloé Delaume.

A l’étage, l’exploration de cet héritage transculturel se poursuit avec une généalogie et chronologie des traduction des Fables de Bidpai. “Une fois arrivées en Europe, après la traduction anglaise, elles se retrouvent absolument partout.”

La salle suivante expose papier, textes, masques (de chacals et chameaux, sortis de la fable ‘Les Animaux malades de la peste’), ainsi qu’un travail d’iconographie, incluant images et cartels, tous trouvés pour illustrer les fables au fil des siècle.

La dernière salle revient sur le palais royal de Rabat au Maroc, où serait caché le texte du Panchatantra, dans le coffre du roi. Le film tente de retracer le trajet de chaque manuscrit, dans un travail sur les questions d’intertextualité.

Les échos de ces oeuvres touchant à différentes parts de la région du Grand Moyen-Orient offrent, ensemble, un panel exquis de référence. Elles révèlent l’amplitude des intérêts de l’artiste, au delà de son rapport binational au monde, pour présenter un véritable dialogue entre les habituelles références à l’Occident et à l’Orient, repensant de nombreuses certitudes, par l’art.

 

Partie II – Bétonsalon – “Le Roman algérien”

De l’autre côté de Paris, dans le 13e arrondissement, au sein de l’ample alcove de Bétonsalon, sont présentés les trois chapitres du ‘Roman algérien’ de Katia Kameli, son oeuvre fondatrice.

La pièce principale a été pensée comme un “studio de tournage et un espace discursif”, où seront invités plusieurs intervenant, artistes, auteurs et chercheurs, notamment pour discuter de l’oeuvre d’Assia Djebar, première réalisatrice algérienne à avoir filmer des femmes du pays, dès 1977, dont s’inspire Katia depuis ses débuts.

Son film, “La Nouba des Femmes du Mont Chenoua” sera d’ailleurs présenté dans son intégralité en mars. “Il inclut une réflexion sur les corps, y compris les corps disparus, une histoire évanescente, passant intrinsèquement par l’oralité, en dialecte arabe algérien.”

Incluant un entretien avec la philosophe française, née en Algérie, spécialiste de l’art et des images, Marie-José Mondzain, dans le deuxième chapitre, “Le Roman algérien” a été réalisé à partir d’un kiosque qui vend des images à Alger, près de la grande poste, d’images coloniales à des cartes postales de héros révolutionnaires. Katia y fait notamment parler Farouk, qui tient le kiosque, et Zahia Rahmani qui l’a invitée à exposer au Mucem à Marseille.

Marie-José Mondzain y présente son concept “de l’invu” et s’exprime sur ces images “qui existent mais n’ont pas été commentées”, notamment sur le rôle du drapeau algérien dans l’iconographie politique du pays, et celui des Moudjahidate – femmes résistantes, trop souvent absentes des récits. Le dernier chapitre du film, en cours, a d’ailleurs été profondément modifié avec l’explosion en 2019 du mouvement révolutionnaire “Hirak” en Algérie, et son inédit “tsunami d’images,” notamment de drapeaux.

On ne peux que recommander de passer le temps nécessaire à regarder l’intégralité de ce film, et les archives d’Assia Djebar. Bétonsalon annoncera également le programme des rencontres et débats tout au long de la durée de l’exposition.

Avec ‘Hier revient et je l’entends’, les deux espaces offrent à Katia Kameli l’espace et la reconnaissance qu’elle mérite. Une occasion trop belle de revoir ou découvrir son oeuvre, profondément contemporaine et toujours exigeante.

‘Hier revient et je l’entends’, exposition des oeuvres de Katia Kameli
Institut des Cultures d’Islam et Bétonsalon
19 janvier – 16 avril 2023

Liens :
https://www.institut-cultures-islam.org/expositions/katia-kameli-hier-revient-et-je-lentends/
et https://www.betonsalon.net/spip.php?rubrique443

Crédit images: 1. ‘Cantique des oiseaux’, Vue de l’exposition à La Criée, centre d’art contemporain, Rennes © Marc Domage

2. Photo : Melissa Chemam

3. ‘Le Roman algérien’, Chapitre 2, 2017, HD Video, © Katia-Kameli

 

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