[Interview] Cissé Moustapha : « faire du théâtre c’était vraiment quelque chose que l’on ne considérait pas »
Le 81 avenue Victor Hugo est un entrepôt situé à Aubervilliers et squatté par le collectif de sans-papiers “81”. En 2015, Olivier Coulon-Jablonka, Barbara Métais-Chastanier et Camille Plagnet présentent au Festival d’Avignon 81 avenue Victor Hugo, pièce d’actualité. Quelques mois plus tard, nous rencontrons l’un des comédiens de la pièce, Cissé Moustapha pour parler de la place de la culture dans sa lutte.
Amélie Blaustein-Niddam : Qu’est ce qui s’est passé pour vous, professionnellement, depuis Avignon ? Etes-vous devenu comédien ?
Cissé Moustapha : Beaucoup de choses ont changé. C’est vrai qu’on est comédiens mais comédiens amateurs. Ce n’est pas vraiment notre profession. C’était juste une occasion pour nous. Avant de commencer le théâtre on n’avait pas de papiers et on n’était pas régularisés. Et le fait qu’on soit régularisés c’est un grand pas.
Amélie Blaustein-Niddam : La régularisation est venue quand ? Vous aviez déjà joué le spectacle ou c’était pendant la création ?
Cissé Moustapha : Olivier Coulon-Jablonka Barbara Métais-Chastanier et Camille Plagnet, sont venus chez nous et nous ont proposé le projet et nous avons adhérés. Et c’est ainsi que nous avons commencé les répétitions auxquelles le préfet a assisté. C’est suite à cela qu’il a voulu régularisé tout le collectif
Amélie Blaustein-Niddam : Vous êtes né où ?
Cissé Moustapha : En Côte d’Ivoire
Amélie Blaustein-Niddam : Vous êtes arrivé quand ?
Cissé Moustapha : En 2000 [rires]
Amélie Blaustein-Niddam : Vous avez attendu 15 ans pour les papiers, le préfet est venu et vous êtes devenu visible ?
Cissé Moustapha : On était déjà connus par les autorités et par la Mairie car nous sommes déjà un collectif et nous avons mené plusieurs luttes sans obtenir de réponse concrète. La préfecture refusait de nous recevoir et c’est ainsi que désespérément nous sommes montés sur scène. On ne croyait pas que ça allait apporter quelque chose mais finalement c’est grâce au théâtre qu’on a pu avoir ce qu’on voulait depuis tant d’années.
Amélie Blaustein-Niddam : Monter sur scène c’est être visible et c’était le problème depuis ces années. Est-ce que vous avez eu peur de revenir à Avignon en prenant des risques fous ? Ou est-ce que ça suffit ?
Cissé Moustapha : Non parce que Avignon on avait déjà nos papiers
Amélie Blaustein-Niddam : La première a eu lieu quand ?
Cissé Moustapha : La première c’était l’année dernière en fait
Amélie Blaustein-Niddam : Alors racontez moi la différence entre monter sur scène avec et sans papiers.
Cissé Moustapha : C’est pas du tout pareil, la première on n’avait pas de papiers mais on avait quand même osé aller sur scène. Le théâtre s’est renseigné. Il n’y avait pas des risques. Après toutes ces garanties, nous avons pris notre courage en mains et nous y sommes allés. C’est un moyen de lutter et que d’’expliquer notre situation au public. Cela les sensibilise.
Amélie Blaustein-Niddam : Quel rapport aviez-vous à la culture avant le spectacle ? Vous alliez voir des spectacles. Connaissiez-vous le festival d’Avignon ?
Cissé Moustapha : Personnellement je n’avais jamais entendu le nom du Festival d’Avignon. Je ne m’intéressait pas trop à ça pris dans l’urgence de survie.
Amélie Blaustein-Niddam : Donc vous vous retrouvez à Avignon sur scène et vous êtes tout a fait européen. Ce n’est pas du tout le même projet dans un cas votre vie racontée est une actualité, dans l’autre, elle devient fiction.
Cissé Moustapha : La vie parfois réserve plein de surprise
Amélie Blaustein-Niddam : Surtout la vôtre [rire] Et celles de vos compagnons sur scène ?
Cissé Moustapha : La vie parfois réserve pleines de surprises. On peut partir de rien du tout et un jour être reconnu dans le monde entier. On espère vraiment que cela soit notre cas. On veut aller partout soit en Europe ou en Afrique pour sensibiliser les gens et expliquer la situation.
Amélie Blaustein-Niddam : Est-ce que ça vous a donné envie de refaire du spectacle, de remonter sur scène toujours avec un axe très politique car c’est ce qui vous anime ?
Cissé Moustapha : Si l’occasion vient..
Amélie Blaustein-Niddam : Est-ce que cela vous a plu ?
Cissé Moustapha : Oui cela m’a plu. On pensait que le théâtre c’était des comédiens qui jouaient la comédie pour rien. Je ne savais pas que le théâtre était un moyen de sensibilisation sur un sujet délicat, sur le monde. Cela m’a beaucoup appris sur la vie. Et vraiment je me rappelle aussi lors de nos différentes prestations qu’à la fin je voyais les gens en larmes. Ils étaient vraiment touchés de notre histoire et vraiment ça m’a beaucoup touché.
Amélie Blaustein-Niddam : Comment vous situez vous maintenant ? Est-ce que vous vous considérez comme en exil actuellement ?
Cissé Moustapha : Non actuellement je ne peux plus dire que je suis en exil. Etre sans-papier c’est comme vous n’avez pas d’identité, comme si vous étiez dans un coin. Quand vous sortez vous essayez quand même d’être prudent et de ne pas tomber sur un contrôle de la police et c’est ça la crainte d’un sans-papiers dans la vie. Il y a des choses que vous ne pouvez pas le faire. Parce que vous ne pouvez pas faire et des endroits où vous ne pouvez pas aller Mais quand vous avez les papiers, là c’est une autre dimension dans la vie. Je suis content, c’est comme si j’avais gagné au loto. Je suis citoyen.
Amélie Blaustein-Niddam : Vous faites toujours parti du collectif ?
Cissé Moustapha : Oui bien sûr.
Amélie Blaustein-Niddam : Est-ce que vous vous servez de ce spectacle pour aider les autres exilés ?
Cissé Moustapha : Bon pour le moment j’essaie de conseiller les uns et les autres. Comme vous le savez il y a beaucoup de frères qui quittent l’Italie pour venir en France. On essaye de leur prodiguer quelques conseils pour qu’ils ne sentent pas un peu isolés. Parce que déjà la situation est tellement difficile que souvent il faut quelqu’un pour vous entourer.
Amélie Blaustein-Niddam : Ce qui faisait le lien entre vous c’est que vous étiez tous sans papiers, mais à part ça vous avez tous des histoires très différentes ? Est-ce que vous semble étrange d’être catalogués sous cette étiquette alors que vos histoires sont très différentes ? Comment se sont passées les répétitions de ce point de vue ?
Cissé Moustapha : Il n’y avait pas de hiérarchie parce que chacun est venu en Europe à sa manière. Parmi les membres du collectif, certains se connaissaient du pays. Ce spectacle est un brassage de plusieurs difficultés dans la vie. Certains sont venus en avion, en bateau, à pieds…
Amélie Blaustein-Niddam : Vous êtes venu comment ?
Cissé Moustapha : Moi je suis venu par avion [rire] On essaye quand même de prévenir les gens des risques qu’ils prennent en décidant de venir en Europe. Il y a ces bateaux qui n’en sont pas. C’est tout ce brassage aussi qui fait que ça touche aussi le cœur des gens
Amélie Blaustein-Niddam : Quel a été l’effet de ce spectacle sur le reste du collectif est ce que ça a permis d’ouvrir les portes pour els autres ou pas ?
Cissé Moustapha : Cela a ouvert des portes pour les autres, car la pièce permet de faire connaitre le collectif un peu partout
Amélie Blaustein-Niddam : Le spectacle a tourné l’étranger ?
Cissé Moustapha : Oui on est allé en Lettonie et le mois prochain nous irons Marseille. Donc ça tourne, et ce n’est pas encore fini car il y a pas mal de personnes qui attendent la régularisation donc il faut vraiment qu’on tourne et qu’on lutter pour ceux qui sont derrière.
Amélie Blaustein-Niddam : Vous avez écrit les textes et le metteur en scène les a mis en forme ? Racontez-moi la création.
Cissé Moustapha : Non Olivier Coulon-Jablonka, Barbara Métais-Chastanier et Camille Plagnet sont venus nous voir et nous proposer le projet. Au départ c’était quand même difficile car ce sont des gens qui ne sont jamais allés au théâtre. Alors, faire du théâtre c’était vraiment quelque chose que l’on ne considérait pas. On a réfléchis dans nos petits coins et on a dit « pourquoi pas »
Amélie Blaustein-Niddam : Ça a pris du temps la réflexion ?
Cissé Moustapha : Cela a été rapide. Ils sont venus nous voir et ceux qui avaient le courage de participer se sont montrés. Chacun a raconté son histoire. Ils ont enregistré nos témoignages, puis ils ont fait tout le montage et ils nous l’ont montré. On a donné notre avis, et c’est ainsi qu’ils ont créé un texte.
Amélie Blaustein-Niddam : Vous avez envie d’arrêter de lutter ?
Cissé Moustapha : [rire]On a quand même envie d’arrêter car on va pas passer toute notre vie à lutter. Donc du moment qu’il reste encore un groupe à régulariser la lutte continue mais dès que tout le monde aura ses papiers la lutte va s’arrêter.
Visuels : 81, avenue Victor Hugo (pièce d’actualité) © Christophe Raynaud de Lage