Théâtre
Poème halluciné pour parking de zone industrielle

Poème halluciné pour parking de zone industrielle

22 July 2022 | PAR Mathieu Dochtermann

Belle découverte dans les Partis pris de création au festival Chalon Dans La Rue, I’m not Giselle Carter du collectif Balleperdue vaut le détour, dans la catégorie poème urbain halluciné. Un spectacle étrange, un très beau texte en même temps qu’une utilisation de l’espace qui joue délibérément sur la marge et sur l’étrange, un théâtre de rue qui tente la poésie et qui ne lésine pas sur les moyens.


C’est Alice au pays des merveilles sur un parking abandonné.

C’est une messe païenne pour des morts qui ne le sont pas encore.

C’est un roadtrip immobile dans les méandres d’Instagram, sous champignons.

C’est du slam qui ne sait plus où se trouve la poésie et qui la cherche quand même, pour ne pas mourir.

C’est I’m not Giselle Carter, et c’est une très belle proposition dans la catégorie de celles qui tentent un coup de folie, un coup de sacré païen, un coup de corps et d’envie et de liberté au fin fond de l’espace public. Qui posent de la poésie là où on n’en voit pas, où on en voit plus.

Alors, c’est vrai, il y a des moments qui sont juste trop décalés pour qu’on y croie. Il y a un peu trop d’utilisation des machines à fumée, parce que, voyez-vous, ça rend le mystère vachement mystérieux.

Mais c’est un spectacle qui sait comment commencer et poser son ambiance, qui dévoile, graduellement, le bizarre, le marginal, le paumé, le chelou. Qui invite à faire quelques pas dans le noir, au milieu d’une foule assoiffée d’un moment un peu différent, une parenthèse, une brèche. Qui esquisse des pas de danse, au milieu des saxifrages.

C’est un spectacle qui sait finir, qui propose une traversée, des images qui brûlent la rétine, des mots qui renversent ou qui restent, des mots qui saignent avant d’avoir atteint les oreilles.

Il y a là des amateurs du coin, avec trois jours de répétitions, qui font le taf aussi bien que les pros.

Une danseuse, protagoniste de l’affaire, qui danse pour ne pas sombrer d’ennui sur le bitume chaud.

Une récitante-chanteuse puissante, à la voix d’or qui crache les mots d’un long délire halluciné, poème syncopé ou slam, tout ça jeté dans le vide ou à la face du public sans crainte de le saturer, parce que de la saturation naît le vertige.

A la périphérie, des personnages interlopes zonent.

Plein centre, des personnages se débattent dans un vide qui est largement trop plein : d’images, de signes, de notifications, d’écrans de smartphones, de raisons de ne pas rechercher autre chose que la suspension du réel et de l’ennui. Ça a l’air tellement bien, d’être une star, le manteau de fourrure, les diams, la grosse BM. Parce qu’en vrai, il y a une Clio, un parking vide, les basses de la musique électro, parce que “En attendant c’est l’été, et on se fait chier comme en hiver”. Alors rêvons, et peu importe que les rêves soient déglingués ou qu’ils soient made in China et en couleurs saturées, parce qu’une couronne de faux diamants ou une couronne d’épine, c’est quand même une couronne, non ?

Au bout de 45 minutes, on ressort de là avec un vertige. On a pas forcément accroché à tout, tout le temps. La musique rugueuse, les lumières violentes, la Clio qui est le corbillard de nos fantasmes, la Clio qui est en marbre blanc à l’intérieur parce que nos rêves, même s’ils se trouvent sur Youtube, valent bien un peu de marbre blanc. Mais on a été accroché, une fois, deux fois, plus, on a perdu un peu pied, et on retourne ensuite à la nuit noire, à la nuit calme, et on garde un trouble de tout cela.

Mais on comprend que I’m not Giselle Carter nous a parlé un peu de nous, par la bande, par la fiction et par la métaphore. A posé un peu de poésie là où il n’y en avait pas. A ouvert la fameuse brèche, l’espace d’un instant.

C’est quand même un peu magique. Et c’est l’un des pouvoirs des arts de la rue.

Pour celleux qui sont au festival, c’est le soir à 23h15, sur billetterie, et il reste quelques places.

 

GENERIQUE

Mise en scène et direction artistique : Marlène Llop / Texte : Manu Berk / Musique et création Sonore : Arthur Daygue / Voix, chant : Pina Wood / Danse : Ji in Gook / Jeu, installation, vidéo : Jérôme Coffy / Jeu, installation, lumière : Laurie Fouvet / Régie son [en alternance]: Frédéric Devaux, Coline Honnons / Costume: Lucile Gardie / Production: Charles Bodin

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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