“Inertie” : belle réussite de cirque de création en espace public
Le festival Chalon Dans La Rue comptait, au titre des artistes programmés dans ce qu’on appelait le IN et qui s’appelle maintenant les “Partis pris de création”, la compagnie Underclouds. Leur création de 2022, Inertie, est une petite parenthèse de cirque contemplatif construite autour d’une sculpture-agrès originale.
A l’origine d’Inertie, un objet de cirque qu’on aurait tort de confondre avec une roue Cyr, même s’il lui ressemble beaucoup. Fruit du travail du sculpteur Ulysse Lacoste, il s’agit d’un grand cercle de métal sur lequel seraient venues se souder deux barres fixées à des points diamétralement opposés de la périphérie de l’objet, inclinées à 45° par rapport à l’axe. Cet objet singulier, imposant, fort par sa seule présence, est offert au regard des spectateurs conviés en bord de Saône en matinée, disposée sur une plateforme circulaire qui le porte et le met en valeur.
Il reste cependant un agrès de cirque, ou du moins une “sculpture mobile habitée” comme le décrit le dossier de la compagnie. A compter du moment où Mathieu Hibon la met doucement en mouvement – nécessairement circulaire, du fait de son poids et de sa construction – la sculpture change de destination par la seule grâce de l’intervention humaine et de l’intention. Ces lignes de métal en mouvement, l’interprète, bientôt rejoint par Chloé Moura, va les explorer, les apprivoiser, les habiter somme toute. La prise de risque, la mise en danger, font assez rapidement place à une sorte d’osmose, où les interprètes et leur “monture” sont synchrones, en accord.
L’agrès en effet, par son inertie, impose une forme de rythme, en même temps qu’il a le potentiel d’écraser les fragiles corps humains qui se mettraient sur sa route. Mais en se mettant à deux contre la structure de métal, les interprètes arrivent à trouver des équilibres, à se balancer, ou au contraire conjuguent leurs forces pour se rendre maîtres de la machine. Aussi bien n’est-ce pas tout à fait une machine : ce qui la rend d’autant plus intéressante, c’est qu’elle est fondamentalement mise en mouvement par l’impulsion donnée par les interprètes, qui explorent d’ailleurs toutes les façons de lui imprimer un mouvement, en la lançant, la poussant, la soulevant…
La façon d’agencer les corps par rapport à l’agrès fait parfois penser à la roue Cyr, parfois au mât chinois, mais reste tout de même singulière. Le piège de ce genre de propositions est de tenter de tirer un maximum d’effets spectaculaires de l’agrès, et comme il est difficile en quelques semaines de résidence de réinventer le cirque, le résultat est souvent un peu décevant. Inertie déjoue cet écueil en prenant le parti de la poésie, et en respectant la capacité de la sculpture à exister par elle-même. Les artistes se laissent la place de donner des respirations à l’imaginaire et à la relation – entre eux et avec l’agrès – sans pour autant renoncer à l’engagement physique et à la technicité. L’équilibre atteint fait d’Inertie un spectacle harmonieux, et cette qualité d’écriture doit être saluée.
C’est une œuvre belle, presque paisible, originale, équilibrée, qui propose quelque chose de mystérieusement touchant.
Elle a de nombreuses dates cette saison, c’est une proposition à guetter du coin de l’oeil…
GENERIQUE
Distribution : Avec : Chloé Moura, Mathieu Hibon / Sculpture : Ulysse Lacoste / Regard extérieur : Vassil Tasevski / Composition musicale : Valentin Mussou / Univers sonore et Spatialisation du son : Sylvain Nouguier / Costume : Delphine Delavallade / Chargé de diffusion : Hugo Claude / Administratrice de production : Sarah Douhaire