Cirque
L’art de se lier pour ne pas perdre “La Boule” en route

L’art de se lier pour ne pas perdre “La Boule” en route

12 March 2023 | PAR Mathieu Dochtermann

C’est à une drôle d’expérience de cirque que convie La Boule de Liam Lelarge et Kim Marro, mais à une expérience néanmoins ludique, et joyeuse, et finalement assez captivante. Il s’agit pour les deux femmes, dans ce spectacle présenté au festival Spring, d’avancer ensemble, en liant leurs corps de façon de plus en plus inextricable. Cela relève des portés, de la contorsion, des équilibres, un peu de l’acrobatie aussi. Cela finit par raconter une jolie relation. Trompeusement simple, et réussi !

Déjà, il y a un pas, puis un autre, toujours fait en avant, puis un autre encore. A deux. Deux femmes qui marchent ensemble, autour d’un espace de jeu de forme oblongue, qui en font le tour en sens contra-horaire. Ce cheminement à deux va se révéler être le cœur même de la proposition, compliqué par une idée très simple, mais qui devient un redoutable obstacle, et la source de prouesses très spectaculaire, quand on le pousse jusqu’au bout : cette marche, Liam Lelarge et Kim Marro vont la faire en liant leurs membres et leurs corps de toutes les façons possibles.

Et c’est ainsi que naît La Boule : deux corps imbriqués qui partagent leurs appuis, qui s’accrochent le plus solidement possible l’un à l’autre pour continuer d’aller de l’avant, tantôt marchant – sur deux, trois, quatre jambes ou mains – tantôt roulant – sur l’épine dorsale de l’une ou de l’autre, de l’une puis de l’autre. Il faut, pour réussir tout cela, beaucoup de force pour s’agripper et ne plus faire qu’un seul corps. Il faut également un sens de l’équilibre et une coordination à toute épreuve. A mesure que le spectacle avance et que les façons de se porter mutuellement se font de plus en plus complexes, apparaît une véritable virtuosité, et une évidente prouesse d’endurance.

Pour réussir à tenir aussi longtemps, et par des figures aussi variées, les deux circassiennes ont mené un travail de recherche appliquée très minutieux, et constitué un vocabulaire de plusieurs dizaines de façons de se lier, se porter, s’appuyer l’une sur l’autre d’une façon qui permet néanmoins de poursuivre le mouvement infini tout autour de cette piste close. Le public assiste un peu au résultat d’une expérience poussée jusqu’à ses derniers retranchements.

En même temps, il y a beaucoup de jeu, au sens ludique. La complexité génère l’absurdité, au bout d’un moment : cette recherche qui n’a d’autre sens qu’elle-même finit par placer les interprètes dans des situations de difficulté extrême, et la gratuité des obstacles qu’elles se créent pour elles-mêmes finit par être cocasse, décalée. Tout aussi bien, l’épreuve est épuisante, ce qui leur impose quelques portés statiques pour reprendre leur souffle, exercices d’équilibre à deux parfois tout aussi périlleux que l’est le cheminement. La dimension ludique de ce travail est confirmée par la jolie exposition qui jouxte l’espace de représentation, où l’on découvre, à la fin du spectacle, que les deux artistes ont un joli trait de crayon, et n’ont pas manqué d’humour pour nommer les figures qu’elles ont inventées : “Dubitchboul” et “Squatiboul” y côtoient le “Kiliboul” et la “Marche Mou du G’nou”.

En filigrane, un autre sens finit par apparaître : ces deux Sisyphe auto-désignées ont besoin l’une de l’autre pour que tienne cette Boule humaine qui doit continuer à avancer on ne sait pourquoi. Et une relation s’écrit donc, par touches discrètes. Très peu de mots sont échangés, et ce sont des mots très courts, des interactions très techniques : “ – Ca va toi ? – Ca va. – C’est bon pour toi ? – C’est bon. Je ne vais pas pouvoir tenir longtemps.” Mais elles tissent tout de même une bienveillance, une attention à l’autre, et un certain amusement dans le ton qui n’est jamais ironique : “ – Tu m’as écrasé le nez ! – Pardon.”

Cette relation de coopération et d’attention est ce qui donne un peu de chair à la proposition, qui finirait sinon par s’étioler dans l’étirement infini d’un exercice purement formel. Par une accumulation de signes infinitésimaux, Liam Lelarge et Kim Marro font surgir une relation dont on peut apprécier la valeur et la beauté, qui est finalement celle de tous les duos circassiens affrontant la difficulté de leur numéro, et plus largement sans doute celle de tout duo étroitement uni dans ses efforts pour lutter contre l’absurde adversité du monde et de la vie. C’est par ce biais subtil, présent de façon subliminale, que La Boule frôle l’universel.

Quand, à la fin du spectacle, Liam Lelarge et Kim Marro sortent les paillettes, c’est peut-être bien cela qu’elles célèbrent : la joie d’arriver, envers et contre tout, à franchir les épreuves dans la solidarité et dans la joie.

Une proposition ludique, joliment mise en lumière par Jérémie Cusenier, qui peut tenir en haleine les adultes aussi bien que les enfants.

 

La Boule a déjà une belle tournée, qui peut laisser espérer qu’un large public pourra profiter du spectacle :
› mer 17 mai – sam 20 mai / St Leu, La Réunion (974) / Leu tempo Festival
› dim 28 mai / Lyon (69) / Festival Utopistes, MJC Ménival
› jeu 8 juin – sam 10 juin / Rennes (35) / Temps fort cirque AY-ROOP
› ven 28 juillet – dim 30 juillet / Montréal (89) / Les rencontres de Monthelon
› jeu 10 août – ven 11 août / Crans-Montana (CH) / Festival Cirque au Sommet
› ven 18 août – sam 19 août / Nexon (87) / Multi-Pistes, Le Sirque, PNC
› mar 22 août / Moutier d’Ahun (23) / La Métive, en partenariat avec le Sirque, PNC, Nexon
› ven 25 août – sam 26 août / Biscarosse (40) / Festival rue des étoiles

 

GENERIQUE

Création et interprétation Liam Lelarge et Kim Marro
Création musicale Madeg Menguy
Création lumière Jérémie Cusenier
Création Costumes Kim Marro
Regard complice Jean-Paul Lefeuvre
Diffusion Colin Neveur / AY-ROOP
Administration Pascale Baudin / Cie Attention fragile

Photo (c) Jean-Claude Leblanc

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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