Théâtre
[FMTM IN] Les Green Ginger et “Intronauts”: la marionnette hyper cinématographique à l’anglo-saxone

[FMTM IN] Les Green Ginger et “Intronauts”: la marionnette hyper cinématographique à l’anglo-saxone

29 September 2019 | PAR Mathieu Dochtermann

En cette 20e édition du Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières, les franco-anglais du Green Ginger présentaient Intronauts, un récit à la facture très classique sur un futur très proche, dans lequel les humains qui en ont les moyens emploient des “intronautes”, employés miniaturisés qui les récurrent de l’intérieur. Avec beaucoup d’humour et une précision rare dans la manipulation et l’aspect visuel, les artistes signent une histoire qui manque un peu de poésie à force d’être trop figurative.

Le retour d’un grand nom de la marionnette

Intronauts est la 21e création de la compagnie anglaise Green Ginger, par moins!

Les créations de la compagnie mêlent un théâtre très visuel, usuellement peu bavard, où figurent aussi bien des marionnettes que des comédiens. Ce n’est pas la première fois que la compagnie vient au Festival, mais ce ne sont pas les mêmes artistes qui mettent en scène et interprètent tous les spectacles: là où Outpost en 2015 était mis en scène par , ici le spectacle est écrit et mis en scène par Emma Williams…

Un soupçon de science-fiction

Décidément, les récits d’anticipation inspirent les artistes marionnettistes! Comme Duda Paiva, Green Ginger explore un récit de science-fiction, mais d’un futur très proche, et pas dans l’espace. La proposition de base est très simple, et on mesure instantanément son potentiel dramatique et comique: des technologies de miniaturisation ont été découvertes permettent aux humains les plus aisés d’acheter les services d’intronautes : des employés réduits à une échelle microscopique, qui sont injectés dans leur corps pour le maintenir en parfait état. A bord de sous-marins équipés de divers outils, les intronautes parcourent les artères, vaquant à leurs routines de maintenance… Mais le procédé de miniaturisation est réversible! Comment les choses pourraient-elles mal tourner ?

Le traitement du sujet se fait avec beaucoup d’humour… parfois, c’est un absurde qui rappelle les Monty Pythons. Parfois, c’est beaucoup plus au niveau pipi-caca, un humour régressif permis quand on peut envoyer un intronaute récurer le rectum de son hôte… On peut déplorer que l’autrice se soit laissée tenter par ce genre de facilités… mais on doit aussi concéder que les Monty Pythons eux-mêmes y avaient parfois recours!

Un soupçon de réflexion critique

Au passage, le spectacle suscite une bonne dose de réflexion critique sur la course au progrès technique. L’invasion du corps même de l’hôte est une belle allégorie du renoncement à la vie privée. Surtout face à un hôte-employeur qui est une sorte de responsable marketing demi oisif, qui passe sa journée à interagir avec son interface domotique à commande vocale, qui lui sert à la fois d’assistant personnel, de smartphone, d’ordinateur…

Tout en montrant les menaces d’une société hyper technique où les humains sont finalement très seuls, Green Ginger a en même temps recours à quelques technologies de pointe! En effet, un voile transparent est tendu à l’avant de la scène, tout jouant derrière dans une boîte noire plus ou moins plongée dans l’obscurité. Cela permet de visualiser les interactions avec les divers ordinateurs et assistants numériques, en projetant des interfaces sur la toile, qui permettent de montrer les échanges de messages entre l’hôte et l’intronaute, la console de pilotage du sous-marin, les applications de jeu à disposition du maître des lieux…

Un rendu impeccable… jusqu’à étouffer le poétique?

Cette histoire qui sonne comme un hommage aux classiques du cinéma de science-fiction (on pense tout de suite à L’aventure intérieure de Joe Dante) conduit Green Ginger à tenter un traitement très cinématographique, qui réussit parfaitement… mais peut-être réussit trop!

L’utilisation de la marionnette portée, pour le véhicule et pour l’intronaute, permet des jeux d’échelle et des zooms efficaces et précis. Les techniques du théâtre noir permettent d’invisibiliser une partie de la manipulation, ce qui renforce l’effet de réalisme et d’illusion. De longs travellings et de magnifiques plans-séquences donnent au metteur en scène le même pouvoir de composition de l’image qu’un réalisateur. Et la musique est digne des meilleures productions hollywoodiennes. La figuration des interfaces ordinateurs-humains est très en accord avec le design des produits numériques contemporains.

Le jeu des deux comédiens est de plus tout-à-fait excellent. Ils rendent crédibles les enjeux qui leur sont propres, à l’un et à l’autre, d’abord antagonistes, puis obligés, fatalement, de se tendre un peu la main par-dessus l’isolement qu’ils vivent tous les deux, alors même que l’un parcours l’intérieur du corps de l’autre!

Mais c’est justement à cet endroit que le bas blesse: à force de réalisme et de précision, à force de maîtrise dans les images, la mise en scène finit par fermer le spectacle, dans le sens de pré-empter l’imaginaire du spectateur. Tout lui est donné à voir, tout est décrit, et du coup il est possible de se demander s’il lui reste encore beaucoup d’espaces pour rêver à l’intérieur de la proposition…

Saisissant, oui! autant que captivant ! mais comme une série Netflix qui fascine par son rendu bien léché, Intronauts peut aussi être accusé de ne pas laisser assez de liberté au spectateur…

Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un spectacle extrêmement bien ficélé, que l’on peut tout de même recommander malgré cette réserve! Le spectacle entame une tournée norvégienne, mais il reviendra sans aucun doute la saison prochaine en France!

 

Distribution

Mise en scène : Emma Williams ; Lumières : Marianne Thallaug Wedset ; Design : Chris Pirie ; Compositeur : Simon Preston ; VFX Animation : Emma Windsor ; Producteur artistique : Kate McStraw
Visuel: (c) Marc Dawson

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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