[FMTM OFF] Un Requiem pour deux queers en forme de célébration
Requiem for a queer de la compagnie de L’Entre-Deux Mondes n’est pas un spectacle tout neuf, puisqu’on pouvait déjà le voir sur la Péniche à Charleville pendant le Festival 2017. Sur des sujets très contemporains mais encore délicats, l’homosexualité et la transsexualité, le spectacle pose des mots et des images sensibles, à l’aide de deux personnages qui, l’espace d’une vingtaine de minutes, donnent une chair et une voix à la réalité vécue par une partie de nos contemporains. Habile, drôle, tendre, féroce, un spectacle qui n’a pas le temps ni l’ambition d’aller au fond des choses, mais propose une entrée possible pour un début de compréhension, tout en créant une suspension toute poétique.
Une mise en scène misant sur la sobriété
Requiem for a queer est un spectacle d’une vingtaine de minutes, pour deux marionnettes manipulées sur table, par deux marionnettistes dissimulés par leurs tenues noires qui se fondent dans le fond noir.
Ces deux personnages de 20 cm de haut, animés directement ou par l’intermédiaire de tiges, se meuvent dans un espace presque nu, où se trouve seulement une couche à jardin et une sorte de cage à cour.
Un sujet exploré par le sensible
Il s’agit de mettre en scène le parcours singuliers de deux êtres humains, contemporains, qui ne s’inscrivent pas du tout dans les normes sexuelles ou de genre, et le revendiquent, même si leur parole fera clairement sentir qu’il y a un prix à payer pour cela.
Il y a le trans en string, bas et talons-aiguilles, qui fait profiter le public du galbe de ses fesses ainsi que de son humour noir qui porte la trace de ses désenchantements. Il y a la lesbienne très sensuelle avec son accent espagnol, et son amour du clitoris – le sien ou celui des autres femmes.
Chacun.e des deux va raconter son présent, de là où ielle se trouve, chacun.e des deux va offrir une petite tranche de vie en même temps qu’un commentaire de son quotidien, entre mise en situation, témoignage et confidence.
Le propos n’est pas d’offrir l’occasion d’un exercice de commisération, qui consisterait à inciter le public, en puisant dans le registre pathétique, à pleurer sur le sort de deux pauvres victimes du hasard, mises au ban de la société. Certes, le texte, tel qu’il est écrit, ne cache pas la difficulté de porter ce genre de différence dans le monde d’aujourd’hui, et donne à sentir en filigrane la violence symbolique environnante et la violence physique toujours possible. Mais les personnages campés sont forts et résilients, aussi, et affirment leur dignité, et posent comme naturel et non négociable le respect qui leur est dû, comme il est dû à n’importe quel autre être humain.
Une mise en images globalement à la hauteur
Les marionnettes servent bien le propos, plastiquement. Elle ont une sorte de fragilité, au-delà de leur petite taille, qui convient bien à la thématique abordée, par la finesse de leurs membres, et leurs têtes légèrement trop grandes portées par leur cou gracile. Elles ne cherchent pas à tout prix à être réalistes, mais sont de belle facture, très visibles et très lisibles – et, pour une fois, elles ne sont pas bêtement asexuées comme la plupart des pantins que l’on peut acheter sur la Place Ducale pendant le festival. Evidemment, on pense à HEN de Johanny Bert à cet endroit, qui sur le même thème ne rechigne pas non plus à figurer très explicitement les attributs sexeuls de ses marionnettes…
La manipulation est globalement à la hauteur, même si les possibilités sont contraintes par les conditions matérielles. Comme les marionnettistes sont deux, et qu’ils ne peuvent, souvent, utiliser qu’une seule main pour leur marionnette, le maintien de celles-ci est un peu gauche, leur corps très léger les fait pencher, leur pas est traînant, leur démarche exagérément déhanchée. Même en lestant les pieds, il n’est pas facile de les sortir de cette corporéité étrange, ou d’éviter les bras qui pendent, souvent, ballants le long du corps. Cela pourra gêner certains spectateurs, autant que d’autres pourront apprécier la distance que cela met avec une incarnation trop naturaliste.
Un spectacle qui interroge avec légèreté
Il n’en reste pas moins qu’en très peu de temps et avec très peu de moyens les deux marionnettistes réussissent la prouesse de rendre leurs personnages crédibles et attachants. De là naissent le trouble et l’émotion, la joie de les voir se rencontrer, l’empathie que l’on peut ressentir pour leur situation, la surprise quand arrive le dénouement.
En somme: le propos a une dimension politique, mais sa forme n’est pas politique. Rien n’est asséné, il n’y a pas de harrangue frontale adressée au spectateur… et c’est très bien comme ça!
C’est suffisamment ouvert pour donner des espaces à l’imagination, c’est poétique malgré une langue très réaliste, c’est une manière sensible de poser des mots et des images sur une réalité complexe… et pour toutes ces raisons, c’est un spectacle qui mérite d’être applaudi !
Distribution
Avec Pauline Delmotte et Guillaume Jouanin
Visuel: (c) cie de l’entre-deux monde