Théâtre
Elena Serra, la voix du pantomime

Elena Serra, la voix du pantomime

08 December 2018 | PAR Magali Sautreuil

Le parcours d’Elena Serra est loin d’avoir été un long fleuve tranquille. Il a été mouvementé, parsemé d’embûches… Mais Elena n’est pas femme à se laisser abattre et aujourd’hui, elle a envie de crier au monde qui elle est. Découvrons ensemble l’histoire de cette femme mime…

Toute la Culture : « Il est rare de rencontrer une femme mime. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’exercer ce métier ? »

Elena Serra : « Quand on pense à un mime, on imagine souvent un homme. Je crois qu’il n’y a pas eu beaucoup de mime féminin ou, en tout cas, elles sont souvent dans l’ombre comme Giuletta Masina avec Fellini. Elle était tellement merveilleuse… elle m’a tellement inspirée dans la Strada. Fellini est un metteur en scène qui m’a beaucoup influencée. Comme je suis Italienne, il a bercé ma jeunesse, tout comme Chaplin, le cinéma italien de l’époque, Totò… Giuletta Masina était la muse de Fellini. Elle est la première femme mime que j’ai vue. Dans la Strada, elle portait un petit haut à rayures, comme Marcel Marceau… Le temps a passé et cela fait maintenant une trentaine d’année que je suis mime. Petite fille, j’avais un rêve : être comme Charlie Chaplin, quelqu’un qui pouvait amener le rire entre les larmes. C’était pour moi une échappatoire à la misère et à la solitude de cette petite fille que j’étais dans une Italie en proie à la confusion et dans une famille en proie à la déchirure. Mon père est mort quand j’étais petite. J’ai dû grandir sans lui, avec ma mère et ma sœur, dans une époque mouvementée, celle des brigades rouges. C’était le chaos pour moi. Il y avait beaucoup de brouhaha et le bruit, ça me fatigue. J’ai besoin de silence. Pour moi, le silence, ce n’est pas le calme. Pour moi, le silence, c’est plein. La plupart des gens ont peur du silence. Ils pensent que le silence est vide. Or, le silence est plein. C’est le mot qui est vide et parfois, on parle pour ne rien dire. C’est le cas de la plupart des personnes. Je reprends souvent mes élèves là-dessus. Je leur demande de se taire et de ne parler que s’ils ont quelque chose d’important à dire. Alors, là, ils se calment. Pour moi, les mots, contrairement au corps, sont superficiels. Quand j’étais petite fille (pour m’échapper du quotidien), je passais mon temps à me travestir, à vouloir être quelqu’un d’autre, à m’inventer des personnages, à me perdre dans les méandres de mon imagination. Par la suite, je suis devenue une femme. Alors, j’ai dansé pour échapper à la peur. J’avais besoin de me sentir vivante, de sentir mon corps vivant et vibrant. C’étaient mes années de révolte : je dansais, je chantais, j’allais au cinéma, j’avais des aventures amoureuses, qui s’achevaient dans la douleur… Je m’habillais comme une hippie… j’étais libre, seule… Je faisais aussi du chant, de la musique, de la sculpture… j’étais un peu hyperactive. Et puis, j’ai débuté des cours de théâtre. Là, je me suis dit que cela me plaisait beaucoup, mais pas dans une forme classique ou statique. Au bout d’un moment, la danse commençait à m’ennuyer également. Je n’avais pas encore trouvé le mode d’expression artistique qui me convenait. Et aussi, le monde me paraissait trop petit en Italie. Je voulais partir, découvrir autre chose, chercher ma voie… J’ai rencontré Marcel Marceau à vingt ans. Ce fut comme un déclic pour moi. Cet homme parlait avec son corps, un corps qui était tourné vers le monde. Il remplissait de sa poésie et de son geste ses récits. Je me suis dit, que le mime, c’est tout ça à la fois : c’est la danse, c’est la sculpture, c’est le rythme, c’est le théâtre… J’ai senti une invitation au voyage. Je suis donc partie seule, avec ma petite valise, découvrant un Paris plein d’embûches, mais tellement fascinant. Puis, je suis restée dans le silence pendant trente ans… et je me demande pourquoi je n’ai pas parlé avant de mon trajet. Ce n’était pas facile de rester vivante dans ce milieu très misogyne. Entretemps, j’ai eu d’autres expériences en tant que metteur en scène, enseignante… J’ai fait des spectacles de rue. J’ai une formation dans ce domaine, ainsi que dans la Commedia dell’arte, la comédie de masques, l’expression corporelle… mais le silence, c’est ce qui m’a toujours le plus touchée. »

Toute la Culture : « Après avoir rencontré Marcel Marceau en Italie, que s’est-il passé ? »

Elena Serra : « De 1985 à 1988, j’ai suivi les cours du mime Marceau. Puis, j’ai enseigné pendant presque dix ans chez lui. J’étais la première professeure « jeune » de son école. Certains élèves étaient plus âgés que moi. Mais au départ, je ne me considérais pas comme enseignante, mais comme répétitrice de techniques. Comme Marceau était un homme qui était souvent en tournée, il m’avait donné des exercices à faire répéter aux élèves. Puis, au fil du temps, de mes expériences et de mes rencontres, je suis devenue moi-même. J’enseigne désormais avec ce que je suis, pas seulement du Marcel Marceau, mais du Elena et ce depuis plus de vingt-cinq ans. J’enseigne le corps qui s’exprime, avec toutes les modes d’expression possibles, aux comédiens, aux mimes… Mon enseignement s’adapte à tous les publics : les enfants, les personnes âgées, les débutants comme les confirmés… car le mime, c’est le corps et le corps, c’est la vie. Il suffit de retomber en enfance, de redécouvrir ce que l’on sait faire ou pas et le plaisir d’exister revient tout simplement. »

Toute la Culture : « Comment enseignez-vous le mime à vos élèves ? »

Elena Serra : « D’abord, je leur apprends le rythme : bouger dans l’espace, courir, s’allonger, sauter… Je leur enseigne comment faire semblant de s’embrasser, de se battre, de s’aimer, de se détester… Je fais également des parallèles avec des éléments pour qu’ils ne cherchent pas leurs émotions du côté de la psychologie, mais pour qu’ils les puisent dans leur corps. Par exemple, pour exprimer la colère, je leur dis de penser au feu. Le feu, ça bouge, ça a une espèce de va-et-vient très mouvementé… et de cette manière, ils arrivent à trouver leur émotion par l’action. Pour l’amour, je leur dis d’imaginer qu’ils ont des ailes aux pieds pour qu’ils se sentent légers. Ils parviennent à comprendre davantage les émotions par le corps que par la psychologie. Quand ils se demandent psychologiquement comment traduire une émotion, ils sont parfois désemparés, alors que le corps, lui, instinctivement, sait comment faire. Par exemple, quand on a peur, on recule, alors que quand on est courageux, on avance. Ce sont des bases que j’essaie de leur redonner et, quand ils les redécouvrent et qu’ils les maîtrisent avec leur propre sensibilité, ils apprennent à jouer avec le corps. On ne peut pas trouver le ton juste si le corps n’est pas dedans. Suite aux mouvements de foule de ce weekend, j’ai demandé à mes élèves de mimer les casseurs. Ils se sont mis à faire de grands gestes et à pousser des cris. Leur colère s’est ainsi exprimée naturellement. Leur voix et leur pensée étaient justes. Si je leur demande de trouver seulement le ton, ils ne vont pas y arriver. Un état n’est pas uniquement psychologique, il est lié à ce que le corps met dedans. »

Toute la Culture : « Qu’est-ce que le mime représente pour vous ? Comment le définiriez-vous ? »

Elena Serra : « Pour moi, le mime, c’est l’art primordial. Avant même de savoir parler, l’Homme s’exprime avec des gestes. Puis, il apprend à parler et, plus il grandit, plus il restreint son corps, plus ce dernier se referme. Pour moi, le mime est une forme de langage universel. C’est ce que j’aime avec le mime : on peut s’exprimer sans avoir besoin de parler. On arrive à comprendre l’état d’âme des gens et on parvient ainsi à communiquer. J’ai beaucoup voyagé en Amérique du Sud, en Amérique du Nord, au Japon, en Europe… en compagnie de Marcel Marceau, lorsque je l’accompagnais en tournée. Je parle donc un peu toutes les langues, même mal, mais ce n’est pas avec cela que je parviens à me faire comprendre. »

Toute la Culture : « Pourriez-vous nous parler de votre nouveau spectacle La parole du silence et nous dire pourquoi avoir le choix d’un seul en scène semi-muet ? »

Elena Serra : « J’étais obligée de parler : Je ne pouvais faire un spectacle totalement muet parce que c’était trop difficile. Dans mon spectacle, j’ai donc décidé qu’il y aurait à la fois des moments mimés et un fil conducteur parlé. C’est un dialogue entre une vieille femme, que probablement je serais ou que je suis en train de devenir, qui souhaite devenir productrice de cette mime qui n’a pas parlé depuis trente ans et qui souhaite s’exprimer aujourd’hui car le mime ne rapporte rien. Les mimes ne font souvent que des petits numéros. Cette grande tante a convaincu sa nièce de faire une conférence sur l’art du mime et ce qu’est le silence. Mais entre les deux, il y a une incompréhension entre la vieille qui voudrait qu’on parle beaucoup et la jeune qui a envie de montrer beaucoup avec son corps. Je joue les deux rôles. J’alterne les passages mimés et musicaux, et d’autres où je parle au public. Certes, je devrais davantage bouger. Tout le monde me dit de plus utiliser le corps que le texte car c’est ainsi que je montre ma passion. Mais je trouvais que dramatiquement, il était important que je raconte certaines choses de ma vie. Il fallait la parole. J’ai donc mélangé les deux pour raconter mon parcours car ce spectacle, c’est ma vie, de mes vingt ans à aujourd’hui. C’est trente ans de silence. Je raconte ce qui s’est passé entre le jour où j’ai quitté l’Italie et où je suis devenue à la fois mère, femme, mime, intermittente du spectacle… J’ai réussi à accomplir le rêve que j’avais de ne pas rater une partie de ma vie… même si j’élève seule ma fille, même si financièrement ce n’est pas toujours évident (les artistes ne sont jamais sûrs de rien)… je fais ce qu’il me plaît, je suis toujours rebelle, libre, indépendante, utopique… Je pense que pour le public, La parole du silence est universelle. C’est un spectacle qui touche, qui n’est ni prétentieux, ni intellectuel. C’est simplement l’histoire d’une femme qui fait de vie celle de tout le monde. On cherche tous à réaliser nos rêves. Le plus important est le spectacle soit accessible. C’est du théâtre populaire pour moi. C’est un spectacle qui ne laisse pas indifférent : soit on aime, soit on déteste. Il n’y a pas de décor, hormis une petite table, sur lequel il y a un livre intitulé La parole du silence, en référence au titre. C’est un spectacle très physique où il y a beaucoup de mouvements, qui ne sont pas de la danse à proprement parler, mais qui s’y rapporte. Je rends hommage à Pina Bausch, une de mes idoles. C’est avec elle que j’ai découvert la danse au théâtre et comment toucher le spectateur au plus profond, sans que cela ne soit ni du mime, ni du théâtre, ni de la danse, tout en véhiculant une sorte d’émotion universelle. »

Toute la Culture : « Vous jouez en ce moment cette pièce au théâtre du Ranelagh. Était-ce la première fois ? »

Elena Serra : « Non, il y a eu une première version en italien du spectacle en 2015. Cela faisait trente ans que j’étais en France. J’ai donc joué les premières représentations en italien en Italie. Et puis en 2017, on a traduit le texte en français. J’ai joué le spectacle à la Biennale – Collectif des arts du mime et du geste et trois dates au théâtre du Ranelagh. Récemment, ce dernier m’a proposé de le rejouer, une fois par mois, le mardi soir, pendant six mois. Et après, je ne sais pas. Je n’ai pas de boîte de production. J’ai fait ce spectacle avec ma petite compagnie. La grande question est de savoir si la pièce sera reprise ailleurs, quel sera son devenir. »

Toute la Culture : « Était-ce votre premier seul en scène ? »

Elena Serra : « Mon dernier spectacle solo remonte à 2007. Entretemps, j’ai joué dans des pièces jeune public, dans des spectacles avec la troupe Mime de rien, j’ai mis en scène une adaptation des Enfants du Paradis, j’ai créé un spectacle autour des relations familiales… Mais cela fait une dizaine d’années que je ne suis pas montée seule sur scène. Mon premier seul en scène, je l’ai monté toute seule. Cette fois-ci, j’ai une attachée de presse, Sandra Vollant, et un metteur en scène tragi-comique, Eugenio Allegri, qui est connu en Italie. Ce dernier a apporté de la dramaturgie à mon spectacle. Il a donné un sens à chaque élément. On se connaît depuis longtemps. Il habitait dans la même ville que moi, à Turin, que l’on surnomme « la petite Paris ». Puis, nous avons déjà eu l’occasion de travailler ensemble. J’espère que ce spectacle ne fait que commencer et qu’il sera repris dans d’autres salles de spectacle. »

Toute la Culture : « Avez-vous des thèmes qui vous tiennent particulièrement à cœur ? »

Elena Serra : La famille est un de mes thèmes très récurrents. J’ai réalisé beaucoup de spectacles et ateliers sur ce thème. Par exemple, mon dernier spectacle jeune public portait sur le stress quotidien, des médias, des téléphones… et sur la non-communication. Il mettait en scène une mère qui partait au travail et qui était scotchée à son téléphone, oubliant son enfant à l’arrêt du bus. J’aborde souvent ces thèmes de façon burlesque et tragi-comique. »

Toute la Culture : « Aimeriez-vous participer au festival d’Avignon ? »

Elena Serra : « J’aimerais beaucoup faire Avignon. Mais sans producteur, ce n’est pas possible. J’ai déjà fait cinq fois le festival : une comme comédienne, deux avec ma compagnie… Mais je sais que l’on perd de l’argent si on n’a pas une bonne production et une bonne attachée de relations publiques qui vend le spectacle. J’aimerais avoir les deux pour me concentrer sur ce que je sais faire : jouer. Peut-être que cela m’arrivera un jour, que quelqu’un misera sur moi. »

Toute la Culture : « Quels sont vos futurs projets ? À quoi aspirez-vous ? »

Elena Serra : « Aujourd’hui, je veux crier au monde entier ce que je suis venue partager ici mes rêves. Je sais désormais que je ne souhaite faire que cela : le geste et le cœur. Ce spectacle est mon premier témoignage. D’autres viendront sûrement, je l’espère. Ce n’est que le début de ma confession. On a tous besoin de croire en quelque chose et moi je crois dans l’immense pouvoir que l’être humain possède dans le silence et dans sa manière d’exister en mouvement. Pour moi, cette énergie physique devient presqu’une philosophie. C’est un moyen de rester vivant. C’est une échappatoire à l’ennui et au cynisme. Les mots sont un prétexte. Je ne suis pas auteure de théâtre. Je suis une comédienne, charnelle, organique et présente. C’est une urgence, c’est un cri dans le silence. C’est moi, ma vie, ma sueur, mon chemin, ici et maintenant. »

Retrouvez Elena Serra dans La parole du silence, au théâtre du Ranelagh, mardi 18 décembre 2018, à 21 heures.

Visuels : Alessandro Brugnettini /Fréderic et Cristophe Poletti

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Magali Sautreuil
Formée à l'École du Louvre, j'éprouve un amour sans bornes pour le patrimoine culturel. Curieuse de nature et véritable "touche-à-tout", je suis une passionnée qui aimerait embrasser toutes les sphères de la connaissance et toutes les facettes de la Culture. Malgré mon hyperactivité, je n'aurais jamais assez d'une vie pour tout connaître, mais je souhaite néanmoins partager mes découvertes avec vous !

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