
“Buster”, de Mathieu Bauer : un sentiment de saturation
Le directeur du Nouveau Théâtre de Montreuil continue son travail sur le cinéma et la musique avec une variation sur La Croisière du Navigator, de Buster Keaton. Un spectacle qui, par sa profusion d’effets, perd le spectateur.
Le spectateur perdu
Mathieu Bauer voulait, avec cette pièce, recourir aux différents matériaux à la disposition du metteur en scène contemporain pour rendre hommage à Keaton : l’écran, bien entendu, mais aussi des musiciens à vue, un conférencier, Stéphane Goudet et un circassien, Arthur Sidoroff. Toutefois, cette abondance nuit rapidement au spectacle et rend par là même caducs certains de ses dispositifs.
Premier élément de confusion : la gestion de l’espace. Chacun à un bord du plateau, le conférencier et le circassien s’ignorent. Deux professions antithétiques, l’une consacrée aux mots, l’autre au corps, qu’il eût été intéressant de réunir. Pourtant, à aucun moment du spectacle, l’un ne se rapproche de l’autre. Pis, ils restent, à une ou deux exceptions près, parqués dans leur bout de scène, le circassien à jardin, le conférencier à cour. Le spectateur se trouve alors contraint de choisir entre les deux. Et, c’est peut-être là le plus dommage : sonorisé, couvrant de sa lourde voix la musique et le film, c’est le conférencier qui gagne, le circassien ne faisant plus d’acrobaties – il est vrai réduites au funambulisme – que pour lui-même.
Le spectateur saturé
Entre les deux, un écran sur lequel se déroule le film de Keaton et, dans la fosse, un saxophone et des cymbales. La musique, écrite par Sylvain Cartigny, accompagne très bien le film, soulignant à propos le suspens et les moments comiques, ou l’emphase excessive de Stéphane Goudet, qui joue son propre personnage. Toutefois, l’intrication du film avec ces deux fonds sonores que sont cette musique et cette voix sature rapidement le spectateur. Nous avions fini par perdre de vue le circassien pour mieux écouter le conférencier, nous finissons par oublier le conférencier pour écouter la musique, ou oublier la musique pour écouter le conférencier.
Certes, la mise en scène repose en partie sur les effets comiques produits par cet intellectuel qui parle sur le film, dans tous les sens de la préposition ; il n’empêche que le spectateur est finalement plus sensible à l’effet sonore de sa logorrhée qu’au discours lui-même. Et, surtout, finit dès lors par ignorer ces bavardages inutiles pour se concentrer sur l’essentiel : le film. Un film que le dispositif scénique ne nous empêche pas de goûter, mais réduit du même coup le spectacle à une bonne vieille séance de cinéma muet avec accompagnement musical dans la salle.
Crédits photo : Jean-Louis Fernandez