Berlin Elsewhere de Constanza Macras : Névroses urbaines
La nouvelle pièce de Constanza Macras « Berlin Elsewhere » figure au répertoire de la mythique Schaubühne depuis sa création en avril 2011 et se donne sur le plateau de la Maison des Arts de Créteil pour trois dates uniques en France. Il faut saisir l’occasion de découvrir le travail touffu et exigeant de la chorégraphe argentine et berlinoise d’adoption. Avec sa compagnie DorkyPark, elle brasse à travers une danse théâtralisée et contemporaine de nombreuses questions identitaires et interroge notre capacité de sociabilité dans un environnement fou et instable.
« Ceci n’est pas une pièce sur Berlin » peut-on lire sur un écran vidéo en fond de scène. Le décor minimaliste et allusif, fait de quelques matelas de mousse dure, peut rappeler l’architecture typique de Berlin Est, les immeubles monumentaux et rectilignes aux toutes petites fenêtres comme on les voit autour de l’Alexanderplatz. Même inspirée et née de la vie dans la capitale allemande, la chorégraphie de Constanza Macras ne cesse d’interroger l’être ensemble, le rapport à une collectivité d’un point de vue plus universel. La ville n’est plus le refuge sécurisant prometteur du début du XXe siècle mais est plutôt présentée comme un environnement hostile et destructeur qui inspire le chaos. Cela est parfaitement rendu par la musique rock jouée en live avec une reprise sympathique et décalée du « Smells like teen spirit » de Nirvana. Du coup, la danse s’efforce de paraître plus éclatée qu’harmonieuse en jouant, comme la bande-son, sur des contrastes esthétiques et socioculturels frappants. Fortement agitée, intranquille, affolée, elle s’emballe pour extérioriser une intériorité complexe et douloureuse, pour expulser une rage inexprimable et libérer un désir sexuel trop contenu. Voyez la scène où l’ensemble des artistes se retrouve à partouzer joyeusement sur un géant matelas gonflable pendant qu’un cantique est chanté à la bienveillance de Dieu.
Ils sont une dizaine sur le plateau mais dansent finalement peu ensemble malgré quelques points de rencontre. Une femme est assise, elle mange des chips goulûment, une autre lui crie sa souffrance à la figure, elle ne réagit pas. C’est tout le propos du spectacle, un appel à l’autre, un appel à l’aide, et l’indifférence comme réponse, l’agitation grouillante d’une multiplicité d’êtres anonymes et lambda, insaisissables car bipolaires, qui s’affairent à courir après le temps, isolés et solitaires. La performance des interprètes est stupéfiante. Ils dansent mais chantent aussi, jouent de la musique, prennent la parole avec une belle énergie et un engagement total. Les corps en tension chutent mais ne s’abattent jamais. Ils se relèvent toujours, ce qui fait qu’il y a quelque chose de revigorant dans cette œuvre.
Dans un mouvement permanent, épuisant, “Berlin Elsewhere” brocarde les fétiches de la société contemporaine. L’histoire récente est forcément présente comme une empreinte indélébile à la fondation de tout regard critique sur la vie d’aujourd’hui à Berlin et ailleurs (le mur, l’holocauste…), la marchandisation, le racisme lattant, la ségrégation, la différence et l’intégration, l’inaccomplissement de l’être. Il y a une volonté délibérée de provoquer, de bousculer. C’est parfois un peu long, gratuit aussi, cru et souvent drôle. Mais la pièce secoue et c’est tant mieux.
Le trailer de “Berlin Elsewhere” ICI
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