
Avignon OFF : Samuel Beckett revient dans “Oh les beaux jours”
La petite salle du Théâtre de la Tâche d’encre accueille entre ses murs une pièce du célèbre dramaturge Samuel Beckett, Oh les beaux jours, portée par une actrice époustouflante, Véronique Boulanger.
Une chaleur à faire perdre la tête
Il est possible de trouver en plein cœur d’une ville marquée par la canicule un lieu où la chaleur se fait encore plus écrasante. Ce lieu, personne ne sait où il se trouve, perdu au milieu d’un nulle part, entre deux dunes. Il y vit deux êtres, deux humains ? La femme reste figée, incapable de se déplacer, seul son torse dépasse du sol. L’homme rampe, gémit, se terre. Tous deux sont là, essayant de combler à leur façon chaque journée.
La chaleur se ressent, la pesanteur qu’elle dégage, pèse. Sur la scène s’étend un amas de tissus, du sable à perte de vue. La lumière se fait incessante, jaune à n’en plus finir, sans aucune variation. Tout est toujours pareil, rien ne change, la chaleur rend fou.
A quand les beaux jours ?
Afin de contrecarrer le temps statique, Winnie parle. Elle enchaîne les phrases, s’entête à être enchainer à elles. Sans elles, elle n’est plus rien, alors elle parle. Tous les jours, la même mécanique se met en place, elle se répète, inlassablement. Alors Winnie économise les gestes à faire, remet à plus tard pour se laisser la possibilité de croire que plus tard, elle aura une chose à faire.
Oh les beaux jours est une pièce sur la solitude, sur l’ennui, sur le temps. Winnie tente désespérément de se sentir moins seule, un peu plus écoutée, aimée. Elle cherche l’attention de son mari, ce Willy qui ne fait que dormir, qui accepte à certaines occasions de faire sonner sa voix rauque. “A quand les beaux jours ?” Quand seront-ils là ? Ont-ils déjà été ? Des souvenirs émanent, ceux d’une vie passée, qui semblait si belle mais qui est si floue, presque inexistante.
Un magnifique monologue
Ils sont deux, mais elle seule fait sonner des mots, laisse son visage apparaître au grand jour. Winnie se pare d’une robe de mariée, d’un collier de perles, d’un chapeau à dentelle fine. Elle veut être belle, elle ne veut pas se laisser aller. Willy, au contraire, se déplace nu, sans souffler mot, sans aucune manière. Le comédien Jérôme Keen se meut dans une animalité étrange. Il est un corps, un personnage dont on ne voit le visage qu’au second acte. Il rampe, se tire sur le sol, donne à voir un corps à la merci de la chaleur et de la douleur.
Véronique Boulanger donne vie au texte de Beckett. Elle fait sonner chaque phrase, emplit d’une grande humanité son personnage, auquel on ne peut que s’attacher. Sa détresse nous afflige, on voudrait la voir sortir de terre, se déplacer, courir. Mais elle reste là, enterrée, à répéter les mêmes gestes en boucle. Son visage change sans cesse d’expression : il faut lutter, ne pas se laisser aller, il faut accepter chaque parcelle de plaisir, pour que ce jour fasse partie des beaux jours !
Un spectacle qu’il est possible de voir à 14h au Théâtre de la Tâche d’encre jusqu’au 30 juillet.
Visuel : ©Affiche