Opéra
Retour sur la première des Noces de Figaro à l’Opéra Garnier

Retour sur la première des Noces de Figaro à l’Opéra Garnier

27 January 2022 | PAR Victoria Okada

Dans la nouvelle production des Noces de Figaro à l’Opéra de Paris, la metteuse en scène Netia Jones propose une mise en abîme, combinée au mouvement féministe, autour du personnage séducteur du Comte. Un retour sur la première représentation de l’œuvre phare de Mozart.

C’est un opéra dans l’opéra. Les personnages des Noces, Figaro, Suzanne, Chérubin, le Comte, la Comtesse et les autres, sont des chanteurs ou des personnes appartenant à différents corps de métier pour assurer la représentation des… Noces de Figaro. On devine dès l’ouverture, avec un rangé de portes des loges, que l’intrigue se passe dans les coulisses du Palais Garnier. Artistes, petits rats de ballet, habillés moitié en costumes ou tutu, se croisent dans le couloir. Régisseurs, administrateurs, et autres personnes qui fréquentent ce lieu y passent aussi, téléphone portable ou ordinateur à la main, ou encore la casquette de communication sur la tête. Dans cet opéra dans l’opéra, Figaro est perruquier, Suzanne habilleuse, le Comte et la Comtesse, chanteurs, dans leurs rôles. Basile est chef de chœur, et ainsi de suite. L’idée tient et le discours est cohérent.
Ce discours porte également le sujet actuel, celui de la lutte contre la violence sexuelle. Ainsi, le chœur entre en scène avec des affichettes de protestation que les choristes collent sur les murs, notamment sur la porte de la loge du Comte. C’est donc bien lui, amateur de femmes, qu’on vise, mais est-ce le personnage ou celui qui joue le personnage ? Plus tard, le spectateur assiste à une scène explicite, presque à un flagrant délit : dans l’acte IV, Barberine, une petite danseuse, sort de sa loge avec son tutu déchiré et chante « L’ho perduta »… La revendication des syndicalistes est alors prise au sérieux, car à l’extrême fin, un autre Comte apparaît en costume pour le remplacer.

Quant au remplacement, avant même la première représentation (celle à laquelle nous avons assistée, pas celle dans le théâtre !), la production en a déjà connu. Pour le rôle de Figaro, Luca Pisaroni demeure après deux changements de distribution. L’un des Figaro les plus chevronnés de nos jours offre une prestation de haute volée, étant imprégné jusqu’aux os du caractère à la fois vif et nonchalant du barbier-perruquier. Anna El-Khashem remplace Ying Feng, malade, pour les deux premières représentations (avant que les troisième et quatrième n’aient été annulées à cause de cas trop importants du Covid dans l’équipe artistique). Son chant aérien conjugué avec la justesse des notes est fort plaisant, malgré un manque de volume — mais la salle est à notre sens déjà trop grande pour le répertoire. Nous apprenons que pour la deuxième représentation, Lea Desandre en Chérubin n’a pas pu assurer sa prestation ; le rôle est tenu par Chloé Briot qui a chanté en avant-scène, alors qu’un figurant a mimé sur scène les gestes et les mouvements du jeune homme.

Lea Desandre, qui faisait ses débuts de soliste à l’Opéra de Paris (enfant, elle a déjà connu la maison pour avoir participé à des productions, en tant que membre la maîtrise des Hauts de Seine), était centre d’attention de nombreux spectateurs qui l’ont accueillie très chaleureusement au moment des saluts. Son Chérubin, un adolescent débordant d’hormones, a beaucoup de caractère et elle le restitue avec plein de malice. La couleur veloutée de Maria Bengtsson fait d’elle une Comtesse délicate, mais comme Anna El-Khashem, si l’espace théâtral était plus intime, elle aurait mieux fait valoir son timbre soyeux.

Paradoxalement, la mise en scène féministe ne donne pas beaucoup de place à Marcelline (Dorothea Röschmann) qui devient une administratrice assez autoritaire, effacée par les autres personnages plus affirmés dans leurs caractères. Autrement, le public aurait mieux profité de ses beaux phrasés. Quant au Comte de Peter Mattei, il forme avec Luca Pisaroni le duo central de cette production. Sa haute stature comme sa voix puissante représentent le séducteur ingrat qui ne soucie en rien des conséquences de ses actes. Expert dans ce rôle, il entre dans la psychologie du personnage pour être en accord avec l’idée de Netia Jones.

Dans la fosse, Gustavo Dudamel confère à l’œuvre une touche très romantique, voire post-romantique, avec un tempo parfois très large selon les partitions. Le cas le plus flagrante était certainement l’air de Chérubin « Non so più cosa son » : vers la fin, le chef donne une ampleur considérable, en appuyant sur les harmonies, qui deviennent presque mahlériennes, pour insister sur une cadence conclusive. Tout au long de la soirée, la densité prévaut au détriment de la légèreté. Outre ce parti pris, quelques petits décalages ça et là ajoutent un sentiment de non aboutissement. L’Orchestre, qui n’était pas tout à fait à l’aise dans l’ouverture où les pupitres se frottaient entre eux, trouve au fil des actes une plus mure sonorité. Le chœur, entièrement masqué, n’a pu montrer toute sa valeur, la protection contre les gouttelettes empêchant la projection, mais aussi l’interaction vocale entre les choristes. Cette dernière est pourtant essentielle pour créer une entité de masse.

Le site de l’Opéra de Paris indique, après des annulations en janvier dus au Covid, que les représentations à venir sont maintenues jusqu’au 18 février. Espérons qu’il n’y aura pas d’autres annulations.

photos © Vicent Pontet

 

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