Performance
Domani, le miracle aveugle de Romeo Castellucci à la Biennale de Venise

Domani, le miracle aveugle de Romeo Castellucci à la Biennale de Venise

29 June 2023 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Le maître du théâtre d’images présente à Venise sa dernière performance, Domani, où, dans l’époustouflant espace de la Scuola Grande della Misericordia, nous errons, toujours sourds et ignorants, persuadés que peut-être les miracles existent vraiment.

S’élever

Depuis qu’il montre son travail au monde, Romeo Castellucci n’a qu’une seule volonté, celle de donner à voir. La question est : mais à voir quoi ? Toujours, il cherche à aller plus loin dans les thèmes qui le traversent. Pour ce chrétien, les thèmes de la Bible sont toujours au cœur de ses représentations. On l‘a vu souvent montrer l’enfer, le paradis, la résurrection du Christ, et souvent, la tragédie de la destinée humaine. Domani se place dans ce dernier champ, qu’il avait révolutionné avec l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre, Sul concetto di volto nel figlio di dio. Ses dernières années, il aime placer le public à égalité de regard avec les performances, volontiers debout ou déambulant. Pour Domani, en plus du mouvement, il impose une élévation. La Scuola Grande della Misericordia se trouve de l’autre côté de la lagune. Pour la joindre, il faut prendre un bateau et naviguer pendant une demi-heure. Ensuite, il faut tenter de reprendre son souffle face à la grande beauté du lieu. Imaginez une immense bâtisse, tout en briques rouges, enserrée par les canaux, comme une île dans une île. Ensuite, il faut grimper jusqu’à l’entrée de ce lieu désormais sécularisé. Là encore, le choc est total, Romeo sait très bien qu’un lieu compte pour créer une catharsis digne de ce nom. Les murs sont recouverts de figures bibliques. L’espace au sol est totalement vide. Comme l’aveugle de Bethsaïde du dogme chrétien, Ana Lucia Barbosa est là, elle pourrait être là pour l’éternité. Elle porte un trench vert, à un moment, elle sera en nuisette blanche, et elle tient devant elle une longue branche d’arbre ponctuée en son bout par une basket bleue.

Ne vois pas et tu comprendras

Nommez-la comme vous voulez, Ana Lucia Barbosa est une apparition qui rappelle les grandes heures des performances les plus intenses de Marina Abramovic. La douleur est un acte, la violence se niche dans les détails. Elle va comme une chercheuse d’eau munie d’un bâton de sourcier opérer des trajets circulaires dans l’espace. Sa marche aveugle impose au public de la suivre comme si elle était une messie ou une pythie. Castellucci pose très vite la notion de « limite » dans cette performance. Le lieu est paré de murs qu’elle essaie de contraindre. Sa première accroche avec l’impossible se fait devant la figure du roi David qui a, selon la légende, battu plus fort que lui. Alors, semble hurler en silence Ana Lucia Barbosa, qui peut dire que les miracles n’existent pas ? Peut-être que si l’on y croit, les murs vont se soulever, s’ouvrir comme la mer Rouge dans un son tonitruant dont Matt Gibbons a le génie. L’inconfort est total. Les pleurs, les stries et la vision de cette créature sans autre guide que sa branche nous assaillent. Qui sauve qui ? Qui doit souffrir pour qui ? Domani – « demain » en italien – est sans espoir. Une nouvelle fois, Castellucci rappelle que l’histoire est circulaire, qu’elle recommence avec ou sans nous. On ne sort pas indemne de cette quête vers une libération impossible de notre condition d’humain. Domani nous impose de nous accrocher aux branches, même coupées, et surtout de croire en ce que nous voyons, même quand l’image est surréaliste.

Jusqu’au 1er juillet, à la Biennale de Venise – horaires et réservations.

Tous les articles et critiques sur l’œuvre  de Romeo Castellucci sont ici.

Visuel : © La Biennale

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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